Contre la fausse objectivité, le perspectivisme assumé ? le reportage « gonzo » de Goldin, Clark, D’Agata, Tillmans contre la photographie « documentaire » d’Evans et Lange.
Résumé
Après 1945, un certain nombre de praticiens de la « photographie plasticienne »
privilégièrent le reportage « communautaire » : une plongée, sur le long terme, au sein d’un
groupe d’individus, souvent connus, voire intimes, du photographe, qui loin de se placer
comme un témoin neutre, activait le mécanisme de l’observation participante chère à
l’ethnographie. Larry Clark en fournit un exemple avec la série Tulsa (1971), la première
d’une longue lignée. Nan Goldin amplifia d’autant l’inclusion de l’autrice par la pratique de
l’autoportrait en situation dans The Ballad of Sexual Dependency (1981-1996). Plus tard des
artistes comme Antoine d’Agata ou Wolfgang Tillmans poursuivirent cette forme
d’autobiographie photographique.
Chacun use de stratagèmes propres pour donner au spectateur le sentiment qu’un réel
peu édité lui est exposé : les photographies sont sans effets particuliers (Clark), sans choix
apparent de sujet (Tillmans), acceptant l’immédiateté et la crudité des situations intimes
(Goldin), laissant le flou de la précipitation, de l’absence de maitrise et donc de préméditation
(D’Agata). Dans tous les cas, les photographies prennent en image des personnes proches du
photographe à ce moment-là, qui livre une partie de sa propre vie. Dans tous les cas, il s’agit
de groupes placés au marge de la société qui les invibilise: toxicomanie adolescente,
prostitution, pauvreté, sexualités pensées comme déviantes, troubles dans le genre… la réalité
convoquée par ces artistes semble se dessiner au regard des contours définis par la norme
sociale.
A cette fin, ces auteurs semblent prendre le parfait contrepied du style documentaire à
la Walker Evans, qui inspiré par Flaubert pensait la photographie plus pertinente quand
l’auteur se rendait invisible. Cette neutralité apparente de l’expression et de l’auteur, cette
invisibilité des conventions formelles, éléments phares de toute la littérature réaliste et
naturaliste, fut un guide esthétique pour une grande partie de la photographie documentaire.
La présente communication vise à interroger la façon dont les artistes mentionnés réemploient
certains codes chers au « réalisme » tout en affirmant leur subjectivité, pour mieux combattre
l’illusion de l’objectivité comme seule façon pertinente de rendre compte du réel.
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