Parmi les principes de justification de l'action publique dans le domaine du cinéma français, le lieu commun associant l'éclosion de la Nouvelle vague et la mise en place des premiers instruments de gouvernance du cinéma (notamment le référentiel du soutien qualitatif à la production) joue un rôle central. Une vulgate du champ de la critique savante présente en effet les " jeunes turcs " des Cahiers du Cinéma (Rivette, Chabrol, Godard, Truffaut...) comme ayant été soutenus financièrement par un CNC (Centre national de la cinématographie) acteur de la réussite économique des cinéastes de la future Nouvelle vague et de leur position rapidement acquise dans l'histoire de l'art. Cet article se penche sur les origines de ce lieu commun et sur les conditions de sa diffusion intellectuelle comme objet social. La Nouvelle vague n'est pas seulement un acteur historique au double sens d'un acteur de l'histoire de l'art (une école artistique) et d'un modèle d'innovation technique dans la manière de produire des films, mais est un instrument de justification ex post du principe d'exigence qualitatif de la politique de soutien sélectif. À la fois agencement artistique et argument sociologique de l'action, objet doté d'une fonction réparatrice, la représentation sociale que constitue la Nouvelle vague dans l'administration culturelle et le champ intellectuel s'est érigée, depuis le milieu des années 80, comme une vulgate pour désigner la réussite de l'entreprise auteuriste du cinéma français. Ecrire l'histoire des dynamiques de changement de cette idée, c'est faire entrer un principe de justification dans l'historiographie d'une politique culturelle sectorielle qui ne saurait se résumer à l'histoire de ses instruments de gouvernance, de ses dispositifs d'expertise, et de ses bénéficiaires : la politique du cinéma.