Les Manuscrits de guerre, publiés à titre posthume par Bernhild Boie, apportent un éclairage saisissant sur l’expérience collective qui préside aux commencements de l’écrivain Julien Gracq et à la formation de l’ethos qui le singularise. Comparables à certains égards aux Souvenirs de guerre d’Alain (1920) et plus encore à L’Etrange défaite de Marc Bloch (1946), ils n’en partagent ni le projet analytique ni le refus de l’introspection. Une attention soutenue au fil des faits quotidiens les caractérise, tout entière colorée d’une réflexion sur l’affectivité transindividuelle qu’ils engendrent. Cette attention s’incarne dans trois objets – avec un degré d’explicitation allant du thème obsédant à l’implicite structurant : le rapport à l’armée ; le rapport à la guerre ; le rapport à l’écriture. Louis Poirier/Julien Gracq tisse à la première puis à la troisième personne un réseau de questions qui constituent toujours notre actualité : à quelle communauté puis-je dire que j’appartiens ? Qu’advient-il de ma capacité d’empathie avec moi-même et avec autrui dans des épreuves « limite », et que faut-il à un sujet – ou une société – pour faire l’expérience transformatrice de l’anempathie ? (restitution du résumé publié sous une forme fautive dans le volume collectif)