Ce mémoire d’habilitation à diriger des recherches en architecture fait la synthèse des travaux réalisés par Emeline Curien en histoire, théorie et critique de l’architecture depuis 2008. Il est le lieu d’observation et d’exploration d’une série hypothèses : au sein de l’impensable accélération de la dégradation de l’habitabilité de la planète pour toutes les formes de vie, il apparait urgent de mettre en œuvre des solutions matérielles pour réduire l’empreinte écologique du secteur de la construction, mais n’est-il pas tout autant impératif de participer à la fabrique de nouvelles sensibilités ? Comment les pratiques des architectes, les processus qu’elles mettent en mouvement, et les formes qu’elles produisent, peuvent-elles tisser de nouvelles relations avec notre extériorité, qu’elle soit sociale, animale, végétale, cosmique… ? Dans quelle mesure la fabrique d’une atmosphère, le dessin d’un plan, les images mobilisées pendant le processus de création, peuvent-ils prendre part à des écologies cosmopolitiques ? Comment nous faut-il transformer nos approches de la théorie et de la critique architecturales pour travailler ces questions ? Le mémoire rendra compte dans un premier temps du parcours d’enseignante et de chercheuse qui a mené Emeline Curien à l’énonciation de ces problèmes. Il reviendra sur les enjeux épistémologiques et éthiques des différentes approches qu’elle a mobilisées pour appréhender les pratiques des architectes européens contemporains et leurs réalisations. La première partie s’intéressera au rationalisme constructif et à la manière dont cette tradition architectonique a orienté le travail développé en thèse et les recherches portant sur le territoire de la Suisse alémanique. Elle montrera comment cette esthétique de la raison va de pair avec une histoire critique de l’architecture parfois qualifiée de « structuraliste », dans laquelle la contemporanéité apparait comme un faisceau de questions impliquant le temps présent. Elle se poursuivra par l’exploration d’une troisième forme de rationalité coextensive aux deux premières, le rationalisme critique, une recherche qui s’intéresse aux opérations intellectuelles qui fondent les œuvres, cherchant à rendre transparente la cohérence interne de chaque projet. Elle se conclura sur les aspects problématiques de ces systèmes de rationalités interconnectés au regard de la crise écologique de la raison contemporaine. La seconde partie abordera, conjointement avec un déplacement du terrain d’études vers les pratiques contemporaines des architectes en Wallonie, les apports de l’anthropologie des images afin d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la critique architecturale, déplacer ses problèmes fondamentaux et transformer ses enjeux éthiques et épistémologique. Elle ouvrira la réflexion à l’engagement des architectes dans les réalités sociales, culturelles et matérielles, aux pensées mythiques et les dimensions anthropologiques de l’espace, à la présence des formes, et la place des images dans la perception et la fabrication de l’architecture, ou encore à l’importance de l’implication corporelle dans les représentations symboliques. Elle reviendra également sur les enjeux de la condition de l’engagement actif comme méthode sur le terrain des réalisations architecturales comme des échanges avec leurs architectes. Elle montrera ensuite les liens qui peuvent s’opérer entre l’anthropologie des images et les questions écologiques, pour considérer les mondes – symboliques, socio-économiques, écosystémiques… - que fabriquent les architectes quand ils dessinent une construction. Elle dégagera pour finir les effets épistémologiques de cet engagement et leurs corolaires éthiques, en s’appuyant sur des réflexions issues du champ des humanités environnementales. Le mémoire ouvrira dans la troisième partie plusieurs perspectives de recherche à venir en vue d’approfondir les enjeux politiques et éthiques de l’architecture considérée en tant que fabrique du sensible. Pour aborder ces questions écologiques, ne faut-il pas d’abord comprendre ce qui est en jeu dans la compétence anthropogénique d’édifier et les manières dont nous en racontons la genèse ? Ne faut-il pas saisir la façon dont nos affects nous constituent et forment notre subjectivité, ainsi que notre capacité à prendre soin des milieux vivants ? Il s’agira finalement de tisser les premiers fils d’une critique architecturale cosmopolitique en vue de participer à la construction collective de thérapeutiques des milieux contemporains, prenant en considération les les injustices affectant l’ensemble des formes de vie humaines et non–humaines, provoquant leur destruction ou la diminution de leurs possibilités d’existence