Pour répondre à la montée des préoccupations environnementales et aux externalités négatives du modèle agroindustriel, les initiatives de reterritorialisation de l’alimentation se multiplient (Lamine, 2019). Cela se traduit par la coexistence d’initiatives diverses, tant du fait des parties prenantes impliquées (les producteurs, les intermédiaires de la transformation et de la distribution, les citoyens, les acteurs publics), que de la pluralité des enjeux qui y sont associés. En particulier, on observe depuis quelques années des initiatives orientées vers des objectifs de structuration de filières « territorialisées ». La diversité et la multiplicité des initiatives questionne la gouvernance de leur coexistence. L’objectif de la communication est de proposer un cadre d’analyse des situations de coexistence de ces initiatives, en s’appuyant sur le cas des filières légumières dans les territoires des Métropoles de Clermont-Ferrand et Lyon. La construction de ce cadre d’analyse se fonde sur des aller-retour entre la littérature et des données issues d’une enquête exploratoire conduite sur les deux territoires étudiés. La littérature sur la coexistence (Gasselin et al. 2021; Chiffoleau et al. 2020; Thomé et al. 2021; Gasselin et Hostiou 2020) a particulièrement été mobilisée. La notion de coexistence permet d’aborder les différentes formes d’interactions sur les territoires. Elle peut se définir comme « des configurations de concurrences, de confrontations, de rapports de force, mais aussi de coprésences, de coévolutions, de complémentarités, de synergies et parfois même [d’] hybridations » (Gasselin et al. 2021, p379). Le cadre d’analyse proposé a été construit à partir des dimensions identifiées par Gasselin et al. (2021) permettant de caractériser des situations de coexistence de modèles agricoles et alimentaires. Il s’agit des « acteurs ou systèmes [qui] interagissent» ; les « « scènes » ou cadres d’interaction» dans lesquels ils interagissent ; les modalités d’interaction, à savoir « comment ils interagissent» ; les « objets» sur lesquels portent les interactions (Gasselin et al. 2021, p.20-21). En parallèle, 17 entretiens exploratoires semi-directifs ont été réalisés, entre février et juin 2023, auprès d’interlocuteurs professionnels en charge de la reterritorialisation de filières alimentaires à différentes échelles territoriales (Région Auvergne-Rhône-Alpes, départements, EPCI, PAT). Les données de terrain et la littérature ont permis de confirmer l’existence d’une diversité d’initiatives de structuration de filière portées par des acteurs privés comme publics, en matière de production, de mise en marché, d’approvisionnement en légumes ou d’accompagnement. Ils ont également permis d’identifier des composantes permettant d’analyser et de caractériser leurs interactions. Les résultats, permettent de dégager cinq dimensions constitutives du cadre d’analyse : la caractérisation des acteurs partie-prenantes des initiatives, les ressources mobilisées et les controverses territoriales qui conditionnent les stratégies des acteurs, les modalités d’interaction autour de ces ressources et controverses et les arènes dans lesquelles ces interactions prennent place. Les stratégies de structuration de filières amènent à considérer, pour caractériser les initiatives et leur coexistence, l’ensemble des acteurs de l’alimentation, qu’ils participent directement ou indirectement à la fourniture d’aliments (Lamine 2012). La littérature et les données de terrain suggèrent qu’ils peuvent être caractérisés par leurs fonctions (rôle, statut), les représentations qu’ils portent (visions et perceptions des enjeux), ainsi qu’à travers leurs logiques et stratégies d’action (là où est situé leur intérêt individuel ou collectif). Ces acteurs se regroupent pour mobiliser ou développer des ressources territoriales et extraterritoriales (Houdart et al. 2023) nécessaires au processus de production, de transformation et de distribution. Les enquêtes permettent de faire émerger quatre principaux types de ressources : des ressources naturelles, des ressources financières et politiques, des ressources sociales et cognitives et des ressources marchandes. Elles mettent également en évidence que la gestion, la mobilisation et la construction de ces ressources peuvent participer au développement de coopérations et de stratégies collectives mais entraine également des concurrences. L’émergence de controverses en lien avec les processus de reterritorialisation et l’usage des ressources poussent les acteurs à se positionner les uns par rapport aux autres. Une focalisation sur les controverses peut permettre de saisir l’articulation et les tensions entre initiatives (Venturini 2010), d’identifier les arènes dans lesquelles les interactions prennent place et le développement de modalités de gouvernance de cette coexistence. Cette communication est issue d’un travail de thèse en géographie en cours, qui s’inscrit dans le projet de recherche ReSysTerr (Résilience des systèmes alimentaires territoriaux) financé par la région Auvergne-Rhône-Alpes (Pack ambition recherche 2021) et qui contribue au projet TETRAE TRAACT (TRansitions des systèmes Agricoles et alimentaires).