Depuis environ une trentaine d’années, les vestiges humains, fauniques et botaniques retrouvés lors de fouilles archéologiques font régulièrement l’objet d’analyses isotopiques (notamment δ13C, δ15N, δ34S, δ18O, 87Sr/86Sr). Pour les restes humains (os, dents), ces données, une fois replacées dans les contextes des sites et des données biologiques, permettent de documenter l’alimentation, la mobilité et les comportements sensu lato des populations du passé. Plus récemment, les données isotopiques humaines ont été intégrées à des travaux pluridisciplinaires incluant des études paléogénétiques, qui ont pu mettre en évidence des organisations sociales de type patrilocal et une importante mobilité des femmes dès le Néolithique. Le projet WomenSOFar (ANR-21-CE03-0008) s’inscrit dans cette thématique de recherche et cible les premiers agropasteurs d’Europe de l’Ouest et d’Afrique du Nord. Il a pour objectif d’identifier les particularités liées au sexe (activité physique, état sanitaire, alimentation) et les moments de la vie où peuvent avoir lieu les distinctions sociales et/ou les mobilités (« âges sociaux »). Le corpus de cette étude se compose de 59 humains provenant de sept sites funéraires localisés le Bassin de Paris, le Massif Central, la vallée du Rhône et la Méditerranée, datés du Néolithique moyen (4500-3300 cal. BCE). La documentation archéologique (ex. matériel associé dans la tombe, type d’inhumation) et biologique (notamment âge, sexe, préservation des parties anatomiques d’intérêt) a été effectuée en amont du choix du matériel. Les molaires des individus ont été sélectionnées en fonction de leur stade de croissance et dans la mesure du possible au moins deux prélèvements sur l’émail dentaire ont été réalisés (haut et bas de couronne, soit entre ca. 2,5 ans et 14 ans). Cette stratégie permet de cibler pour chaque individu deux périodes de l’enfance et/ou adolescence. L’émail dentaire est un tissu fortement minéralisé et plus résistant que l’os aux processus diagénétiques et d’altération liées à l’enfouissement, ce qui en fait un matériel privilégié pour l’analyse des compositions isotopiques (87Sr/86Sr, N corpus=104 ; δ18O, δ13C-ap, N corpus = 131). Avant les prélèvements invasifs, des archives photographiques, des enregistrements 3D au scanner surfacique et, pour certains, microtomographiques sont effectués. En complément de ces enregistrements, des mesures pXRF non destructives sur l’émail dentaire et des mesures 87Sr/86Sr sur des escargots archéologiques, provenant de deux des sites concernés, ont permis de documenter l’état de conservation du matériel et le 87Sr/86Sr biodisponible localement. Chaque échantillon d’émail est séparé en deux, une partie (4-6 mg) est prétraitée avec une solution d’acide acétique tamponnée à 1M (0,1 ml/mg) moins de 10 min (pour les analyses δ18O, δ13C-ap) et l’autre partie (6-10mg) a subi une chimie d’extraction du Sr (pour l’analyse 87Sr/86Sr). Les résultats montrent une importante variation du rapport 87Sr/86Sr au cours de la vie des sujets féminins dans la plupart des zones géographiques, mais de façon plus prononcée en Occitanie. Des variations intra-individuelles du δ18O de l’eau ingérée et δ13C de l’alimentation (glucido-lipidique) sont également mises en évidence. Elles ne semblent pas être liées au sexe mais plutôt à des individus spécifiques, notamment en Occitanie. Une première réflexion sur ce jeu de données inédit en archéologie nous montre qu’il existe un contrôle important sur les signatures isotopiques (1) de l’identité biologique (sexe) et culturelle (mobilité propre à la structuration sociale et/ou à des pratiques de subsistance) et (2) de la variabilité isotopique naturelle (plantes, eaux de sources, etc.) différente dans chaque région. Les autres approches déployées dans le cadre de WomenSOFar appuient ces conclusions en démontrant une variabilité dans les activités, dans les mobilités et dans les ressources consommées par les individus, fortement influencée par les identités biologiques et sociales. Cette première étape de notre étude souligne les intérêts multiples mais aussi les limites à l’utilisation des restes humains pour étudier les paléoenvironnements. La combinaison des approches et des indicateurs bioarchéologiques témoigne de la prosocialité, de la large territorialité ainsi que de la variabilité dans les structurations des groupes humains préhistoriques néolithiques. Les éléments biogéochimiques qui composent les individus archéologiques rendent compte d’un temps spécifique de vie et résultent de plusieurs facteurs en partie comportementaux. Ils ne peuvent donc être interprétés comme indicateurs du seul environnement dans lequel ont été inhumés les individus.