Mobilités sportives et trajectoires de vie dans les ruralités
Résumé
Les associations sportives participent à la structuration des territoires (Tonini, 2007), tout comme à leur symbolique (Augustin, Bourdeau et Ravenel, 2008). Ces clubs sont producteurs de mobilités sportives, par exemple pour les compétitions. Ils créent dans le même temps d’autres mobilités pour que ses membres puissent les rejoindre, aucun club n’ayant que des licenciés locaux. Cette mobilité, extrêmement riche et diverse, est intéressante à étudier par le prisme des étapes dans les trajectoires de vie des pratiquants. Pourtant, ces mobilités n’ont jamais été étudiées, alors même que cette circulation contribue aux représentations liées aux ruralités (Rieutort et Thomasson, 2015). Surtout, il s’agit d’une mobilité choisie et non contrainte, car chacun est libre de choisir le club auquel il souhaite adhérer, du moins au niveau amateur qui m’intéresse ici. Elle est donc d’autant plus intéressante à analyser car elle est personnelle. Cette mobilité peut être très importante car certaines personnes font le choix de ne pas pratiquer leur sport dans le club le plus proche, s’éloignant donc géographiquement de leur lieu de résidence, mais se rapprochant socialement, amicalement, voire de façon idéelle d’autres clubs. Ce choix relève donc d’éléments divers, tant géographiques que sociaux, voire sociétaux. De plus, les clubs des ruralités ne bénéficient pas des réseaux de transports en commun urbains. Cela les contraint à une plus grande mobilité, tant en nombre de déplacements, qu’en distance. Cette dernière peut atteindre, dans les cas les plus extrêmes, plusieurs centaines de kilomètres sur un seul week-end.
Pour étudier cette mobilité, la méthodologie est mixte, à la fois quantitative et qualitative. Grâce à l’accès inédit aux bases de données des Fédérations Françaises de Football et de Rugby, des mobilités domicile – club sportif ont pu être cartographiées, tout en préservant l’anonymat des licenciés. Cette cartographie a pu montrer l’incroyable richesse et complexité de ces mobilités, fortement liées aux trajectoires de vie des pratiquants. Ensuite, cette approche quantitative a été complétée par une approche plus qualitative. J’ai en effet rencontré plus de 70 responsables de clubs qui ont pu expliquer les mobilités de leurs licenciés, les leviers mobilisés, les freins rencontrés, l’apprentissage de cette mobilité dès le plus jeune âge, etc. Des parcours individuels ont pu être retracés grâce à des rencontres, au cours de ces entretiens, avec certains licenciés ayant des trajectoires particulières.
Le prisme du sport pour étudier les mobilités spatiales et donc original, d’autant plus qu’il permet d’appréhender une diversité de thématiques, et notamment celle des étapes dans les trajectoires de vie. J’aborderai ici plus particulièrement la mobilité des jeunes adultes jouant dans les clubs ruraux, après le baccalauréat. L’obtention de ce dernier va généralement marquer un tournant dans la biographie de la sportive ou du sportif. En effet, les jeunes ruraux qui souhaitent continuer leurs études doivent quitter leur territoire d’origine pour se rendre dans les principaux pôles urbains, où se situent les formations universitaires et post-bac. Or, si pour une partie des jeunes, ce tournant va marquer la fin de la pratique sportive, une autre partie va continuer à pratiquer dans le club d’origine. Cela s’accompagne donc d’un retour hebdomadaire dans le territoire d’origine, afin de continuer à pratiquer dans le club souhaité. Ce retour aux sources leur permet aussi que revoir leurs familles et amis, de prolonger les sociabilités locales. Cette mobilité est donc l’inverse des mobilités pendulaires classiques, les flux principaux allant des villes vers les campagnes. Ces aller-retours peuvent faire l’objet de co-voiturages car généralement, chaque club possède plusieurs étudiant(e)s résidant dans la ville universitaire la plus proche. Le trajet constitue donc un moment de convivialité, de sociabilisation contribuant au renforcement des liens entre les membres du club et du territoire, que Prévitali (2011) appelle connexités. A ce trajet se rajoute celui pour la rencontre sportive, effectuée avec l’ensemble de l’équipe, quelle que soit l’origine spatiale. Là aussi, cette mobilité est source de sociabilisation et une sorte de mentorat peut s’initier entre des membres plus anciens, ayant connu cette étape riche en mobilités de leur vie, et aidant les plus jeunes à accepter des distances très importantes. Toutefois, certains freins peuvent apparaître au fil du temps. C’est le cas du climat, ces mobilités devenant plus difficiles en hiver. Ces étudiants peuvent aussi créer de nouvelles sociabilités dans leur nouvel espace de vie, les détachant progressivement de leur territoire. Certains trouvent ensuite du travail, fondent une famille dans ces espaces plus urbains et cette circulation rentre alors en confrontation (temporelle, amicale et/ou familiale) avec un nouveau mode de vie et ses nouvelles sociabilités s’ancrant plus dans les espaces urbains que dans les ruralités. Cette mobilité est donc souvent temporaire et tend à diminuer avec l’âge. Les ruptures et tournants dans les biographies ont donc un impact sur ces mobilités, comme sur la vie des clubs qui dépendent de cette circulation.