La fouille réalisée impasse Dumur à Clichy-la-Garenne en septembre 2020, fait suite à une opération de diagnostic sur une parcelle d’1,5 ha affectée par un puissant remblai de 4 m d’épaisseur. Cette contrainte majeure avait empêché l’équipe d’archéologues d’observer la stratigraphie de manière satisfaisante. Seuls deux sondages avaient permis l’observation des dépôts alluviaux anciens, distants d’environ 1 km du cours actuel de la Seine. Malgré l’absence de vestiges, la qualité de conservation de la séquence a permis au service régional d’archéologie d’Île-de-France de prescrire une fouille au moyen d’un transect d’environ 80 m sur 15 m de large, en perpendiculaire du fleuve. Les objectifs scientifiques étaient orientés sur la documentation des paléoenvironnements autour de la Seine selon trois axes : établir la datation des dépôts, notamment celle de l’unité sablo-limoneuse litée observée lors du diagnostic, à l’aide de datation radiométriques ; documenter l’environnement et le paysage (relations stratigraphiques entre les unités identifiées, dynamiques sédimentaires et environnements de dépôts) et préciser la place de cette séquence dans le système d’étagement des nappes alluviales de la vallée de la Seine. Deux tranches conditionnelles complétaient cette prescription, car le potentiel archéologique déjà bien connu de cette zone géographique, additionné à la qualité de conservation des séquences sédimentaires, laissaient peu de doute sur la possibilité de découvertes de vestiges. Ainsi cette opération de fouille a permis d’identifier 5 niveaux de vestiges distincts, datés entre 27 cal. ka et 63,9 ± 4,1 ka. Le niveau le plus ancien est caractérisé par des restes de faune (Bos bison, Equus sp.) qui ne portent pas de traces d’intervention anthropique et indique un milieu ouvert, caractérisé par de grandes plaines. Des éclats de silex taillés composent le second niveau de vestiges, daté à ± 56,6 ka. Dans un parfait état de conservation, ces 20 pièces et quelques esquilles ont bénéficié d’un recouvrement très rapide après leur abandon, qui a préservé intacts les tranchants. Une étude tracéologique permet d’identifier des activités de boucherie et de traitement de carcasse ainsi que le travail de fibres végétales. Les éclats, pour la plupart massifs, ont été utilisés brut à l’exception de deux d’entre eux, retouchés sur place. Le troisième niveau de vestiges, toujours daté autour de ± 56 ka est représenté par un bloc quadrangulaire de calcaire siliceux, dont les surfaces ont subi des transformations liées à diverses activités (découpage, polissage). Il est également affecté par une érosion sableuse liée à son environnement sédimentaire et sa fonction exacte reste, à ce stade de l’étude, indéterminée. Les restes d’une petite bisonne, datés de 45 ± 4 ka, portant des traces de boucherie déterminent le 4ème niveau de vestiges. Sur cet individu adulte, de la viande a été prélevée, ainsi que la langue et de la moelle. Enfin le dernier niveau de vestiges est composé de restes de défense de mammouth (Mammuthus primigenus). Très affectés par des phénomènes de gel/dégel postdépositionnels visibles à l’œil nu dans l’unité stratigraphique qui les ont complètement fragmentés, ils ont cependant pu être datés par C14 bioapatite, à 27 cal. ka. Associée à aucun squelette ni aucun autre élément d’un éventuel individu, il est probable que cette partie médiale de défense ait été déposée naturellement par le fleuve. Les résultats de l’étude géomorphologique montrent l’évolution du système fluviatile de la Seine au cours de la dernière glaciation (Weichselien). Après une phase d’incision à la fin du Début Glaciaire, un système fluviatile en tresses se met en place pendant tout le Pléniglaciaire inférieur (SIM 4). Au début du Pléniglaciaire moyen (SIM 3), un système de chenal(aux) stable(s) s’installe, marqué par des crues débordantes qui forment une levée de berge à l’endroit de la découverte où seule une végétation rase se développe, les arbres et arbustes colonisant des secteurs plus éloignés du fleuve. Cette dynamique sédimentaire forte conduit au recouvrement rapide des vestiges lithiques et restes fauniques, leur assurant un très bon potentiel de conservation. Enfin, au cours du Pléniglaciaire inférieur (SIM 2), le système fluviatile subit un enfoncement généralisé tandis que les dépôts de versants recouvrent la nappe alluviale. Quelques structures érodées protohistoriques complètent les découvertes et nous rappellent que cette période est également peu représentée dans cette localisation géographique. La qualité des informations récoltées sur la fouille de Clichy-la-Garenne a permis une multitude d’études et le croisement de données nécessaires à la reconstitution paléoenvironnementale des berges de la Seine. Elle livre des résultats inédits concernant les relations homme/environnement dans le domaine alluvial au cours du Paléolithique moyen récent.