Il se meut dans les rets de la parole celanienne et meschonnicienne un mouvement commun vers ce que nous pourrions nommer, dans un emprunt à Derrida, une « spectropoétique » de la mémoire. Dans la perspective du monde d'après la Shoah, leur parole poétique n'aurait pas pour vocation d'invoquer la présence des absents, de leur rendre hommage ou de les « célébrer », ni d'en appeler tout à fait à la nostalgie de leur présence, mais de saisir dans les images et les rythmes, les résonances et les acousmates, ce qui par-delà absence et présence ne cesse de résonner jusqu'à nous : le caractère auratique de la mémoire elle-même, soit l'expérience de ce qui n'est plus la vie elle-même, mais de ce qui, comme la vie, résiste et demeure susceptible de passer dans le langage et de nous appeler encore. Ainsi de cette expérience qui, à défaut de se faire présence, devient persistance. Il y aurait dans le principe actif singulier de la parole poétique un élément garant de cette sourde résonance qui, parce qu'elle continue d'agir jusqu'à nous, résiste au caractère irrémédiable de la catastrophe.