Il est courant dans les cercles « avertis » qui observent l’économie portuaire nationale de considérer que la France n’a pas de politique portuaire ambitieuse et souffre de fait d’un déficit de maritimité, au regard du potentiel que lui ouvrent ses trois façades maritimes métropolitaines. L’appréciation est sévère. Car si l’on peut considérer que les Grands Ports Maritimes d’Etat souffrent de la concurrence de leurs puissants voisins européens, tels Anvers ou Rotterdam, le littoral national n’en présente pas moins un maillage particulièrement dense d’organismes portuaires, témoins d’une dynamique en la matière. Progressivement confiés aux collectivités territoriales par les vagues successives de décentralisation, ces ports doivent être considérés à des échelles territoriales variées pour apprécier la nature de leurs activités. Tous ensemble, ils assument près de 20% des trafics nationaux de marchandises et la moitié des flux de passagers. Cette trentaine de ports engagent une grande diversité géographique, tant sur le plan des trafics, dont le port de Calais assume à lui seul plus de la moitié des flux, que sur celui des formes édifiées, des fonctions assumées, des modalités de gouvernance adoptées. Si l’on s’accorde à penser que le port décentralisé français n’est pas un « grand port » par principe, au regard de son statut, sa réalité est appréciée de manière très diverse, à en croire les qualificatifs qui lui sont dédiés : petit port, port moyen, port secondaire, port territorial, port de proximité, port régional ou encore port périphérique. Cette pluralité sémantique témoigne du caractère protéiforme de ce fait portuaire qui s’établit dans des espaces intermédiaires, à l’ombre des grands ports. Elle révèle également la variété des enjeux qui façonnent leurs perspectives. Parmi ces enjeux, ceux relatifs à la transition écologique consacrent un profond changement de paradigme, dans des ports qui, non seulement ne disposent pas des mêmes moyens financiers pour y faire face que leurs homologues centralisés, mais présentent des caractéristiques fort différentes tant du point de vue organisationnel et décisionnel que géo-historique. La contribution entend présenter ces caractéristiques à l’échelle nationale. Elle s’interrogera sur la manière dont ces ports s’engagent ou non sur des questions de transition, et sur le fait que la nature de cet engagement tient beaucoup de spécificités locales. Dans quelle mesure, la transition concourt-elle à la mise en oeuvre de stratégies d’adaptation ou impose-t-elle au contraire des contraintes qui remettent en cause l’idée d’un « développement portuaire » ? Ce faisant, elle proposera une réflexion sur les évolutions récentes de leur modalité de gouvernance, à travers le mouvement de « sociétisation » que l’on peut observer depuis quelques années. L’affirmation de nouveaux acteurs, publics et privés, au capital de ces sociétés d’exploitation tend-il à infléchir ces trajectoires décisionnelles, traditionnellement inscrites dans des tissus entrepreneuriaux locaux liés au chambres consulaires ? Cette financiarisation nouvelle des ports secondaires interroge quant à la nature de ce néo-capitalisme portuaire et de ses intentions. Elle tendra à mettre en évidence la nature parfaitement éclectique de leurs activités, tout en insistant sur le fait que nombre d’entre eux restent des ports industriels, inscrits pour la plupart sur des circulations internationales, loin de l’idée selon laquelle port décentralisé rimerait nécessairement avec port de proximité. Au total, la contribution ambitionne de porter une double réflexion, à la fois empirique et prospective, sur l’émergence d’un modèle portuaire « secondaire », apte à répondre au défi de l’écologisation du fait portuaire, dans un territoire français marqué depuis la seconde moitié du XXe siècle par le centralisme des décisions en la matière. Cette analyse s’appuie en grande partie sur les travaux menés dans le cadre de la Chaire « Transitions Portuaires et Maritimes » de l’Université de Bretagne Occidentale, portée par la Région Bretagne et qui implique plusieurs acteurs industriels d’échelle nationale.