Les Assises de la formation continue organisées à Lyon en 2019 à l’initiative des inspections générales se proposaient de réfléchir , à partir des travaux de la recherche, aux solutions à apporter à une formation perçue par les formés comme inadaptée, en décalage avec la réalité du métier. Par ailleurs, de récentes recherches en didactique du français montrent que la lecture littéraire peine à irriguer le terrain professionnel. Ainsi, dans les classes, les pratiques d’enseignement de lecture laissent encore peu de place à l’autonomie de l’élève à sa subjectivité et ce, en dépit des récents programmes scolaires qui y invitent. Cette réalité témoigne de la difficile diffusion des savoirs didactiques auprès des enseignants et leur appropriation. Se pose alors la délicate question associée à toute intervention scientifique dans le champ de la formation professionnelle : « en quoi la recherche peut[-elle] contribuer à un changement de pratiques, et au nom de quoi s’autorise [-t-elle] à agir ou tenter d’agir sur les pratiques [?] » (Plane & Rinck, 2021, p.31). Comment éviter qu’un dispositif de formation, qui sous couvert de dépasser un certain dualisme théorie-pratique, ne se concrétise dans un nouvel enseignement prescriptif et maintienne ainsi un modèle descendant ? Face à ce questionnement, notre communication tente de trouver une piste de réponse, que nous souhaitons soumettre à l’analyse scientifique: ainsi, notre communication rend compte de la mise en œuvre d’un dispositif de formation à destination d’un collectif d’enseignants chevronnés visant à faire dialoguer, au sein d’une communauté de pratiques, savoirs didactiques et expériences professionnelles. Sur le plan théorique, nous nous adossons d’une part, en didactique de la littérature, au concept de lecture littéraire (Dufays, 2016) et en particulier au va-et-vient dialectique et au paradigme du sujet lecteur ; d’autre part, nous mobilisons, au sein des sciences de l’éducation et de la formation, les travaux portant sur la formation professionnelle des enseignants, notamment les travaux de l’anthropologie culturaliste (Chaliès & Bertone, 2015), inspirés de la philosophie de Wittgenstein (2004). Nous convoquons aussi les théories de l’activité qui la présentent comme un flux professionnel et font de « [l]a controverse entre anciens autour des gestes professionnels (…) une trappe d’accès au métier » (Clot, 2007, p. 90). Dès lors, nous proposons de nommer certaines pratiques didactiques reconnues par le collectif comme significatives d’un savoir-faire professionnel spécifique à la didactique de la discipline, « expériences didactiques de référence » (Brunel, 2022), en faisant ici écho aux pratiques sociales de référence (Martinand, 1989), mobilisées comme significatives d’une pratique appartenant à une sphère sociale déterminée et susceptible d’être mobilisée et transposée pour enseigner. La notion de référence renforce l’idée qu’une reconnaissance collective a été opérée parmi un ensemble de pratiques, et que la pratique retenue comme expérience didactique de référence est porteuse de signification pour le collectif et considérée comme modélisant une expertise (Lebeaume, 2001). Enfin, nous recourons aux travaux sur les communautés d’apprentissage professionnel (Ria, 2019) et aux dispositifs de collectifs de travail (Caroly & Clot, 2004) pour analyser dans quelle mesure le dispositif de formation proposé est favorable à la construction de la compétence (Chaliès & Lussi Borer, 2021). Dans quelle mesure la co-construction d’expériences didactiques de référence au sein d’un collectif de formation est une condition d’appropriation d’un concept théorique en situation professionnelle ? Sur le plan méthodologique, nous mobilisons une démarche qualitative, fondée sur le suivi d’un collectif de professeurs de lettres chevronnés, tuteurs en établissement auprès d’enseignants stagiaires. Nous chercherons à mesurer leur appropriation d’aspects caractéristiques du concept de lecture littéraire, et notamment de ses principes d’articulation (entre les opérations de lecture, entre le singulier et le collectif, entre l’implication subjective et la distanciation) dans le cadre d’une formation organisée en plusieurs phases, au cours de l’année scolaire 2021-2022. Nous analyserons, grâce à une méthodologie d'analyse de discours, les données déclaratives issues des captations vidéo des séances de formation ainsi que les extraits significatifs du rapport final de ces professeurs tuteur sur les compétences acquises par leur stagiaire, afin d’y déceler la manifestation d’une appropriation de l’enseignement de la lecture littéraire.