Dans la Description de la fameuse Fontaine de Vaucluse en douze sonnets, qui ouvre les Poésies diverses, Georges de Scudéry fait du paysage de la fontaine de Vaucluse un espace poétique proprement spectaculaire, entraînant l’œil et tous les sens : la fixité du sonnet et son exigence rhétorique donne corps aux tourbillons de la source, le déroulement syllogistique du poème qui se resserre vers la pointe finale reproduit les axes verticaux des falaises qui joignent le ciel et les flots du torrent, hypozeuxes et antithèses figurent les jeux de miroirs à l’œuvre dans le paysage. Le bouillonnement vivant de la nature est orchestré par la langue poétique, ordonné selon l’architecture sophistiquée du sonnet et de l’alexandrin. La nature est civilisée par l’art, et le poète s’investit comme l’architecte et le chorégraphe de ce spectacle vivant. Décor théâtral, la fontaine de Vaucluse constitue le cadre dans lequel Georges de Scudéry met en scène poissons et pêcheurs, personnages de ce petit theatrum mundi, mais surtout Laure et Pétrarque, dont les rochers et les flots rejouent incessamment les amours. C’est ainsi que, dans une remarquable mise en abyme, l’espace clos du sonnet vient répondre mimétiquement à l’espace clos de la fontaine de Vaucluse (étymologiquement, le « val clos »), paysage-monde à l’intérieur duquel se déroule, intemporel, le moment de la naissance du sonnet. Ce sont les larmes de Pétrarque, devenues matière poétique, qui coulent au fond du val. Dans ce spectacle du paysage, né de la contemplation, c’est finalement le spectacle de la poésie elle-même que Georges de Scudéry donne à voir. Nous nous proposons ainsi d’étudier comparativement les douze sonnets de la Description de la fameuse Fontaine de Vaucluse sous un angle stylistique afin d’en dégager les procédés qui fondent le dispositif spectaculaire mis en place par Georges de Scudéry. Cette analyse permettra dans un second temps d’aborder la question d’un point de vue épistémologique : nous nous demanderons par là ce que révèle – en cette période cruciale qui voit succéder l’influence de Louis XIV à celle du cardinal de Richelieu, destinataire des Poésies diverses – cette pratique du sonnet sur la valeur et les enjeux du spectaculaire en poésie.