L'adaptation d’œuvres pour la jeunesse en séries télévisées est une pratique en plein renouveau depuis l’essor des plateformes de streaming. On remarque une forte représentation de la fantasy parmi les projets de production officiellement annoncés pour les années à venir (la toute récente première saison de Percy Jackson sur Disney +, de nouvelles séries inspirées de l’univers de Narnia pour Netflix, l'annonce d'une réadaptation du cycle Harry Potter). Ces projets revisitent donc des sagas de fantasy ayant connu le point culminant de leur réussite commerciale dans la première décennie du XXIe siècle. Ce sont également bien souvent des réadaptations, réactualisant des films des années 2000 sortis dans la continuité du phénomène Harry Potter. À cet égard la série His Dark Materials semble donner le ton : produite pour la BBC et HBO entre 2019 et 2022 et adaptée de la trilogie de Philip Pullman (1995-2000), elle offre une vision synthétique des mécanismes et ambivalences relatives aux adaptations d’œuvres de fantasy jeune public en séries TV. L’objectif de cet article sera de montrer, par l’intermédiaire de His Dark Materials, que la forme de la série télévisée reconfigure la manière de porter la littérature de fantasy pour la jeunesse à l’écran autour d’une tension entre un patrimoine d’enfance et un public d’adultes. His Dark Materials semble illustrer une sorte de dynamique favorable entre l’avènement de la Peak TV et le retentissement éditorial de sagas de fantasy à destination de la jeunesse. Un trait caractéristique des œuvres de fantasy est en effet d’accorder une place centrale au world building, d’élaborer des univers complexes et détaillés dans des récits souvent longs et segmentés en plusieurs volumes. Dans cette perspective, la forme sérielle présente l’avantage de la longueur et d’une dynamique narrative particulière, permettant de donner une véritable ampleur à l’univers fictionnel en le faisant se déployer à l’écran sur le long cours. Ainsi, dans le cadre de l’adaptation, cette opportunité octroyée par le format propre à la série télévisuelle semble promettre, non pas nécessairement une fidélité rigoureuse mais au moins une équivalence de densité diégétique entre l’œuvre originelle et son avatar transmédiatique. Dans un contexte de réception où l’opinion et les souhaits des fans occupent une importance de plus en plus cruciale et influent sur les choix de production, ces interrogations sont primordiales, notamment en ce qui concerne les œuvres de littérature de jeunesse qui font l’objet d’un fort investissement affectif. Ce parti pris d’adaptation est encore plus flagrant si l’on prend en compte le fait que la saga avait déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique douze ans auparavant et qui avait reçu un accueil critique et commercial assez mitigé, notamment en raison de sa présumée mauvaise exploitation du matériau littéraire originel. Cette adaptation télévisuelle agit donc comme une revalorisation de la capacité de la fantasy pour la jeunesse à concevoir des univers denses et complexes. Cette revalorisation d’un patrimoine de jeunesse a cependant quelque chose de paradoxal. La trilogie de Philip Pullman était spécifiquement conçue et destinée à un public d'enfants et d'adolescents - même si il pouvait également être fort apprécié par un lectorat d’adultes, comme le veut le principe de « double lectorat ». En revanche, l’adaptation opère un pas de côté avec ce jeune public en donnant à voir une série qui assume un côté sombre et l’adaptation télévisuelle augmente l’attention portée aux personnages adultes et à leur psychologie. Elle valorise également très nettement les implications politiques et métaphysiques sous-jacentes de la saga, en donnant une importance de premier plan au sous-texte religieux et des prises de positions anticléricales de l’œuvre. Il y a donc certes une revalorisation de la fantasy pour la jeunesse, mais une revalorisation ambiguë puisqu’elle passe par une prise de distance avec le public de destination d’une telle littérature.