Alors que la moindre visibilité des femmes sur la scène publique des espaces ruraux a été pointée par de récentes enquêtes et portée sur l’agenda politique, cette communication s’attache plutôt à comprendre les conditions de l’engagement associatif a priori improbable de jeunes femmes des classes populaires rurales. Ces filles au petit capital culturel, qui suivent des études courtes ou cherchent à se stabiliser sur le marché du travail, doivent en effet composer avec des temporalités fortement contraintes dans les sphères scolaire, professionnelle et familiale. Leur instabilité résidentielle est peu propice à l’engagement et elles n’ont pour la majorité pas d’enfant, qui pourraient motiver des investissements autour de l’école. En outre, alors que les engagements des classes populaires sont souvent tournés vers les activités de sociabilité, les loisirs de proximité sont majoritairement investis par les hommes. Plusieurs travaux ont d’ailleurs bien mis en avant la participation forte à la vie publique des jeunes hommes de classes populaires, autour des activités de loisir, et les rétributions qui y sont associées, dans des espaces ruraux caractérisés par l’interconnaissance et une faible présence des classes dominantes. La communication interrogera donc aussi le caractère genré de cette petite notabilité et plus largement les rétributions individuelles et collectives que les jeunes femmes retirent de leur engagement, afin de mieux comprendre ses ressorts. Elle repose sur une enquête ethnographique dans un espace rural peu investigué, un département historiquement agricole particulièrement isolé des grandes métropoles. En raison de la structure de l’emploi locale, l’enquête a d’abord reposé sur un suivi de cohorte de cinquante-quatre sortantes de baccalauréats professionnels des secteurs sanitaires et sociaux, âgées de 18 à 25 ans au début de l’enquête. Les entretiens répétés ont été accompagnés d’observations de scènes de sociabilités (loisirs sportifs, fêtes, moments entre amies passés au domicile, shopping, etc.) et sur les réseaux sociaux, en particulier auprès de celles avec qui une relation privilégiée a été tissée. Parmi ces jeunes femmes, une part non négligeable est fortement investie dans les associations locales. La première partie de la communication soulignera la dimension collective des engagements associatifs en pointant le rôle des parents, mais aussi de la famille du compagnon et, dans une moindre mesure, des amies pour comprendre les investissements de ces jeunes femmes dans la vie associative locale. La deuxième partie montrera que ces jeunes femmes évoluent dans une configuration propice à l’engagement : le recoupement des scènes sociales, associé à une interconnaissance forte, favorise des enjeux de positionnement social sur la scène des loisirs, où les jeunes femmes cherchent à être reconnues comme respectables par leur dévouement. La précarisation du marché du travail les incite à se montrer travailleuses en dehors de l’emploi, mais aussi à s’investir dans la scène associative comme scène de compensation. Enfin, le manque de services de proximité et de loisirs marchands accroit les besoins de travail associatif et les sollicitations qui leur sont faites, quand leur jeunesse est perçue comme garante de la « vitalité » du territoire. La dernière partie interroge les rétributions individuelles et collectives de cet engagement. Elle pointe la petite notabilité de ces jeunes femmes dans l’espace local et ses effets sur l’accès à des biens rares (emplois, logements à bas coût). L’engagement de ces dernières reste toutefois discret. Ces filles, sœurs et compagnes des « gars du coin » ne sont pas vraiment reconnues comme des « filles du coin » et ne disposent que de petites gratifications par rapport aux hommes de leur entourage. L’étude montre aussi que les rétributions matérielles de l’engagement sont particulièrement précieuses pour les jeunes des fractions précarisées des classes populaires.