Les médias ne constituent pas qu’un miroir de notre société, ils participent également à la construction des normes, notamment celles qui concernent le genre (Coulomb-Gully, 2010). Il y a une quarantaine d’années, les auteur·es d’un état des lieux sur la place des femmes dans les médias sur les cinq continents, constataient leur faible proportion. Leur revue des travaux de recherches effectuée sur la place des femmes à la télévision les amenait à conclure que : « la télévision n'exerce pas seulement une influence par ce qu'elle montre, mais aussi par ce qu'elle omet de montrer. » (Ceulemans et Fauconnier, 1979 : 31). Ces travaux pointent l’importance de compter pour rendre compte. Une tâche à laquelle s’est attelé le Global Media Monitoring Projet (GMMP) qui dans son premier rapport en 1995 estimait à 17% les femmes présentées dans l’actualité. Des années plus tard, en France, la loi 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a ajouté aux missions du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) celle de garantir le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle en veillant “à une juste représentation des hommes et des femmes dans les programmes des services de communication audiovisuelle”. Des rapports annuels sont publiés depuis, réalisés en partenariat avec l’Institut National de l’Audiovisuel. Pour faciliter la réalisation de ces rapports, un système automatique (Doukhan & Carrive, 2018) permet de détecter la répartition, des hommes et des femmes dans les flux télévisuels et radiophoniques français, ceci en mesurant les taux de présence, mais également les temps de parole qui se révèlent souvent plus faibles pour les femmes que pour les hommes à la radio comme à la télévision (Garnerin, Rossato & Besacier, 2019 ; Doukhan, 2019). En France, en 2021, le rapport du CSA, devenu ARCOM et portant sur l’exercice 2020 annonce une présence des femmes stabilisée à 43 % à la télévision (CSA, 2021) mais leur temps de parole ne représente que 35 %. Le chemin à parcourir pour parvenir à une réelle équité risque d’être encore long, d’autant que certaines émissions télévisées ne semblent pas avoir pris acte des préconisations de l’ARCOM, ni de l’évolution sociétale post #MeToo et ni de « la bataille du genre » pourtant initiée dans les années 2000 et qui vise par l’analyse des dynamiques de socialisation à lutter contre les stéréotypes de genre (Froidevaux-Metterie, 2021). Dans notre communication, nous porterons notre regard sur l’émission de La Grande librairie. D’une durée de 90 minutes, et diffusée sur France 5, il s’agit de la seule émission littéraire du service télévisuel public français diffusée à une heure de grande écoute. A certaines périodes, elle a pu capter l’attention de plus d’un demi-million de téléspectateurs et de téléspectatrices devant leur écran. A ce titre elle constitue une réelle opportunité pour ces invité·es de promouvoir leurs ouvrages auprès d’un large public et plus généralement de se faire connaitre. Après une présentation de la présence des autrices dans la production littéraire en France et plus particulièrement de leur « silenciation » en littérature, nous proposons une analyse contrastive et principalement quantitative sur la place des invitée.es dans l’émission de La Grande librairie. Ainsi, nous avons cherché à savoir si auteurs et autrices jouaient à « armes égales » et quels processus étaient à l’œuvre dans leur (in)visibilisation ? Quelle place leur était assignée ? Comment l’animateur orchestrait la présence des unes et des autres au fil des émissions ? Quelle évolution constate-t-on du début de l’émission à ce jour ? Pour répondre à ces questions, notre dispositif de recherche porte, dans un premier temps, sur les 14 saisons (de 2008 à 2022) animées par le journaliste et critique littéraire François Busnel qui est également le producteur de La grande librairie. Notre corpus repose sur 489 émissions (qui comptent 2 201 invité·es) à partir desquelles nous avons identifié des éléments susceptibles d’indiquer des marques d’asymétrie. Ceci en relevant la proportion d’hommes et de femmes présent·es sur le plateau de l’émission et son évolution au fil des années, mais aussi le nombre et la variation des invité·es selon les thématiques abordées. Puis nous avons réalisé un focus sur des émissions à parité afin d’observer les temps de parole cumulés pour l’animateur et les invité·es sur le plateau selon leur sexe (à l’aide du logiciel Elan). Dans un deuxième temps, nous avons cherché à savoir si la nouvelle et quinzième saison (2022-2023) animée par le journaliste culturel et critique littéraire Augustin Trapenard, marque une évolution sensible (ou pas) vers davantage d’équité et moins de stéréotypes genrés. Une interrogation d’autant plus stimulante que ce nouvel animateur intronisé par François Busnel, compte parmi la communauté LGBTQIA+ qui contribue largement à la lutte contre les discriminations de genre. Enfin pour élargir la focale, nous mettrons nos résultats en perspective avec un recensement des émissions littéraires podcastables dans le paysage audiovisuel public français entre 2021 et 2023. Ceci afin d’identifier l’évolution de la proportion d’animateurs et d’animatrices, les types de littératures traités par ces émissions, leur place dans les grilles de programmes (durée et heure de diffusion). Ces données complémentaires permettront de comprendre si les résultats présentés pour La Grande librairie s’inscrivent dans un paysage plus large où les femmes et les hommes occupent des places bien distinctes.