Depuis quelques années, on assiste à Paris à un processus inédit de problématisation de la consommation et du trafic de crack dans l’espace public, comme le démontrent le traitement médiatique, les mobilisations riveraines, les prises de parole associatives et les rapports officiels. Si cette problématisation se doit en partie à la tension structurante du cadrage du problème public des drogues ainsi que les difficultés de sa gestion entre deux pôles opposés, le sécuritaire et le médico-social, elle dévoile d’un autre côté un système spécifique d’acteurs, dotés d’intérêts et de stratégies d’action contrastés et mainte fois antagonistes. Façonné par ce système conflictuel et son maillage territorial, le cas parisien laisse également entrevoir une forte articulation entre la dimension spatiale du phénomène du crack et sa construction en tant que problème social et objet de l’action publique, et ce, notamment lorsque l’usage et le trafic de ce dérivé de la cocaïne se déroulent dans l’espace public, y constituant des scènes ouvertes. Afin d’explorer cette articulation et leurs engendrements, nous nous proposons dans ce chapitre de retracer et d’examiner les dynamiques sociospatiales du phénomène du crack depuis son apparition dans la capitale au cours des années 1980 jusqu’à l’évacuation du square Forceval, à l’automne 2022. Plus précisément, nous plaçons la focale i. sur les scènes ouvertes du Nord-est parisien et ii. sur les modes de production et de régulation de l’espace public (Froment-Meurice, 2016) par les acteurs du pan répressif. Du point de vue méthodologique, ce chapitre s’appuie sur des archives (presse et littérature grise, 1980-2023), sur 143 entretiens semi-directifs et enfin sur plus de 600 h heures d’observation ethnographique dans les espaces publics du nord-est parisien concernés tant par la circulation du crack que par l’intervention des différents acteurs civils et étatiques visant à son contrôle. Plan 1. Des squats aux espaces publics périphériques (1980-2004) : rénover et reconquérir les nouvelles centralités convoitées
2. De la périphérie au triangle d’or (2004-2021) : invisibiliser et disperser les indésirables intramuros 3. De la place au square (2021-2022) : quadriller l’espace, (re) cadrer le problème public *En cours de publication au sein d'un ouvrage collectif, ce travail est issu du colloque « Déviance, délinquance et marginalisation dans les espaces publics : pratiques des publics, interventions sociales et sécuritaires, mutations politiques », organisé en octobre 2022 par le Réseau thématique 3 - Normes, déviances et réactions sociales de l’Association Française de Sociologie.