Premier pays du monde musulman en termes de population, l'Indonésie demeure assez largement absente des débats-y compris scientifiques-sur l'islam. Pourtant, en dehors de son poids démographique (250 millions de musulmans sur 280 millions d'habitants, soit presque autant que l'ensemble du monde arabe) 2 , l'immense archipel présente plusieurs intérêts au regard des questions d'autorité dans l'islam. Le premier est de nous permettre de nous décentrer du paradigme arabo-musulman largement dominant dans la littérature et contribuer ainsi à conférer à ces questionnements une dimension plus universelle. Le deuxième est la grande fluidité des débats qui a toujours caractérisé, au nom de la notion javanaise d'harmonie, les questions relatives à la religion dans ce pays : l'Indonésie est le seul état du monde musulman où les intellectuels les plus libéraux peuvent s'exprimer en toute liberté sans être contraints au silence ou à l'exil tout en cohabitant-et parfois même en débattant-avec les représentants des courants néo-salafistes les plus radicaux. Un troisième intérêt est celui de la diversité et de l'originalité des mobilisations conduites au nom de l'islam en à peine plus d'un siècle et, partant, des nouveaux modes et nouvelles figures d'autorité qu'elles ont fait émerger. Nourrie par un réformisme musulman solidement établi sous la colonisation, l'expérience remarquable d'une démocratie musulmane, au lendemain de l'indépendance, a ainsi constitué un tournant majeur dans l'histoire des processus de légitimation des dirigeants de la communauté musulmane. Son échec et la répression subie par les courants l'ayant portée entrainèrent un éparpillement des fonctions d'autorité qui témoigna de leur caractère contingent et fut propice à leur instrumentalisation au gré des intérêts défendus. Le cas indonésien témoigne donc de l'étonnante plasticité de cette notion d'autorité dans l'islam, reflet des différentes fonctions sociales et politique que la religion musulmane a pu exercer dans un pays où, malgré son poids démographique, elle n’a jamais bénéficié d’une exclusivité dans l’accès au sacré. Disputée au sein même d’une communauté musulmane divisée entre courants réformistes et traditionalistes, l’autorité exercée au nom de l’islam a pu, tout au long du vingtième siècle, procéder de sa proximité ou, au contraire de son opposition au pouvoir politique. Marquée, depuis le retour de la démocratie en 1998, par une multiplication des registres (moraux, économiques, politiques,…) susceptible de la fonder, elle est désormais caractérisée par son éclatement et, partant, par une certaine dissolution de son effectivité.