John Dewey disait que l’expérience artistique, c’est rendre visible [audible] pour elle-même une expérience, c’est expérimenter une expérience, ce qui nous permettrait d’apprendre des choses sur l’expérience même et de devenir acteur au sens fort. Si ce postulat nous rassure, rien ne prouve que notre action ne nous conduise à la vérité de l’oeuvre. Centrés sur nos propres désirs, y compris scientifiques, nous risquons, parce que nous ne sommes pas l’artiste, de la percevoir sans stimulus adéquat et, de ce fait, de voir des choses en elle qui n’existent pas et/ou de ne pas voir, nier ce qui y existe. L’action peut cependant aboutir à une dérive perceptive extraordinaire, surprenante, envahissante, à un monologue intérieur ramifié, qui s’étale jusqu’à perdre la raison, jusqu’à perdre les mots, jusqu’à devenir imagination extatique. Cette dérive peut croiser ce que Gustave Flaubert a appelé l’« hallucination artistique », qui serait, selon lui, un mode d’imagination, d’expérience, de connaissance, d’intelligence et d’intensification ; un mode à la lisière du rêve, de l’art, du monde onirique, qui permettrait de créer des mondes autres, de s’évader de la réalité, de sortir de soi un peu à la manière des effets provoqués par l’ingestion volontaire de substances chimiques [je songe ici à l’expérience psychédélique des années 1960-1970]. Arthur Rimbaud y voit une possibilité de « fixer les vertiges1 », ce qui relèverait du paradoxe, parce que le vertige est un évanouissement. Quant à Antonin Artaud, cet état serait, selon lui, un moyen de protestation, un moyen pour être dans un monde viable, une façon de contrer le « mensonge de l’être », de refaire son corps, de retracer son propre portrait.