Cet article se propose de clarifier l’épistémologie d’une pratique de la recherche en sciences de l’éducation et de la formation (SEF) conduite conjointement par des chercheurs scientifiques professionnels et des acteurs sociaux concernés par les questions mises au travail. C’est la raison pour laquelle elles seront nommées recherches conjointes. Ce type de pratique trouve sa raison d’être dans le fait que les acteurs associés à la recherche ont une expérience et une connaissance des phénomènes étudiés et que celles-ci peuvent apporter un autre point de vue que celui des chercheurs. Elle invite à faire des SEF une science de l’expérience de l’interaction entre savants et connaisseurs.Une recherche conjointe est donc une recherche où deux partenaires, chercheurs et acteurs sociaux, sont, ensemble, des cochercheurs et conçoivent, conduisent, analysent, produisent et diffusent une recherche, sa méthodologie et ses résultats. Les questions mises au travail résultent d’une mise en discussion des questionnements réciproques des deux partenaires. Les méthodes mises en œuvre, si elles partent d’une proposition des chercheurs (ce sont eux qui ont du métier en la matière) sont ajustées pour que les acteurs sociaux puissent s’en saisir et leur correspondre. Il en est souvent de même des analyses comme des productions.Les processus et les résultats des recherches conjointes sont produits par deux cochercheurs qui ont en interaction mais qui ne jouent pas le même rôle. C’est même l’asymétrie de leur position et l’inégalité de leurs pouvoirs respectifs sur ce qui se joue et se passe qui donne le mouvement de la recherche conjointe. Un mouvement un peu bancal, inattendu et, pour cela, exploratoire, original et créatif.L’épistémologie des recherches conjointes n’est donc pas positiviste-réaliste. Elle n’est pas constructiviste non plus. Elle apparait comme une épistémologie alternative que je nommerai quantique-pragmatiste. Si le régime positiviste-réaliste repose sur un rapport objectivant et le régime constructiviste sur un rapport subjectivant aux phénomènes étudiées, le régime quantique-pragmatiste se caractérise quant à lui par un rapport interactivant, attentif à l’incertitude d’un réel en devenir, où l’interaction observateur/observé joue un rôle crucial dans l’actualisation des possibles. C’est la construction de dispositifs mettant en scène l’interaction entre les cochercheurs et le phénomène par l’attribution de rôles actifs aux interactants, comme c’est le cas avec les recherches conjointes, qui active le régime quantique-pragmatiste.A rebours de la conception d’Aristote selon laquelle il n’y a de connaissance que du général, le régime quantique-pragmatiste défend l’idée que le général n’est pas connaissable en soi, seule est connaissable l’actualisation singulière d’un champ de possibles produite par l’interaction à l’œuvre dans tout process de connaissance. Dans ce régime de connaissance, tout discours général ne peut développer qu’une série d’hypothèses probables. C’est l’activation du processus de connaissance par l’interaction entre l’humain et le phénomène qui produit un évènement singulier observable que l’on peut connaitre au sens où on peut en faire l’expérience.