Le confinement de 2020, impliquant un recours à l’enseignement à distance pour tous les enseignants, a remis en lumière des éléments scientifiquement documentés tels que : l’articulation entre inégalités sociales et numériques chez les élèves (Goudeau et al. 2021), ou l’hétérogénéité des modalités d’appropriation des technologies par les enseignants (Boudokhane-Lima et al. 2021). Au-delà de la relative ponctualité de l’évènement, nous nous intéressons à ce qu’énonce l’injonction de " continuité pédagogique " quant au rôle des " artefacts cognitifs " (Norman, 1998) dans la mise en œuvre, voire la modification (Collin et al., 2015), des manières d’enseigner et, plus largement, dans le projet politique et social d’éducation. Dans la lignée des approches critiques quant au poids des conceptions technodéterministes et à la place des acteurs industriels dans le champ éducatif, nous interrogeons, du point de vue des sciences de l’information et de la communication, la réalité effective du " pouvoir d’agir professionnel " de l’enseignant (Denouël 2019) au moyen de dispositifs sociotechniques, parfois imposés, et n’ayant pas toujours été spécifiquement conçus à des fins pédagogiques. Quelles technologies ont été mobilisées et demeurent-elles utilisées, ou non, par ces enseignants ? Quelles perspectives pédagogiques leurs affordances autorisent-elles, ou non : en termes de production de contenus, de manipulation par les élèves ou d’évaluation par exemple ? Quelles implications en termes d’objectifs d’apprentissage pour les élèves, tenant compte de la diversité des logiques enseignantes ? Notre propos s’appuie sur une série d’entretiens auprès de 54 enseignants de l’élémentaire et sur 3 études de cas (cycles 2 et 3). Nous visons à recueillir les représentations à l’égard du numérique de ces enseignants, à comprendre les articulations entre leurs usages personnels et professionnels des technologies, à cerner les buts pédagogiques qu’ils poursuivent avec les ressources et les équipements à leur disposition. Il s’agit d’agencer cette perspective individuelle avec des éléments globaux (politiques publiques, choix de conception des artefacts) qui participent fortement à la structuration des usages numériques pour l’éducation et des enjeux sociaux qu’ils portent (Brotcorne et al. 2019), ce que révèle la diversité des expériences individuelles et collectives d’un passage contraint au " tout numérique ", du fait même de son caractère exceptionnel.