Les historiens et les archéologues travaillant sur les mondes scandinaves médiévaux soulignent régulièrement l'importance de l’exploitation et de la transformation des paysages dans l’affirmation d’un ordre social, politique et religieux. En témoigne par exemple la construction de places centrales, souvent en surélévation, combinant halles aristocratiques, édifices religieux et tertres funéraires, comme à Gamla Uppsala ou à Gjellestad. La formation de paysages monumentaux dominant les environs venait ainsi asseoir la prééminence de ces sites et s’inscrivait dans des stratégies de communication des élites pour affirmer leur autorité.
Dans cette intervention, nous reviendrons sur un aspect particulier de l’exploitation des paysages dans un cadre politique en Scandinavie de la période viking au XIIIᵉ siècle : l'organisation de rencontres diplomatiques au bord des cours d’eau et sur les îles. Nous nous demanderons pourquoi ces espaces naturels ont pu être perçus comme des lieux appropriés pour la tenue de négociations et la conclusion d’accords. Nous verrons d’abord que les paysages aquatiques offraient des avantages matériels, notamment en limitant les risques d’affrontements, tout en permettant les échanges entre les groupes. De même, ces lieux étaient le théâtre d'une ritualisation visant à afficher le statut des protagonistes. En l’occurrence, des déplacements mutuels ou unilatéraux vers les points de rencontre, de même que le positionnement des acteurs sur les rives ou sur des ponts, contribuaient à exprimer symboliquement le rapport de force entre eux et à préfigurer le contenu des accords éventuellement conclus. Enfin, nous verrons que le choix des cours d’eau et îles comme lieux de rencontre n'était pas seulement motivé par des considérations pratiques, mais découlait aussi d’un imaginaire et de représentations de l'espace qui attribuaient plus généralement à l’eau la fonction de frontière et de point de passage, comme on l'observe notamment dans les mythes et la pratique des dépôts rituels.