Avec un style sans créolismes, une intrigue linéaire et une instance narrative stable et précisément identifiée, les romans pour la jeunesse de Maryse Condé et de Gisèle Pineau sont bien calibrés pour le marché de l’édition jeunesse. Chaque mot rare, étranger ou difficile et chaque référence historique sont expliqués en note et dans des dossiers pédagogiques. Tandis qu’il est possible d’identifier le recours au réalisme merveilleux et au style en français créolisé dans leurs romans pour adultes, la plupart de leurs récits publiés à destination de la jeunesse excluent tout élément non réaliste, tout brouillage des repères énonciatifs et chronologiques, toute opacité de la forme et du sens. Ces récits s’opposent en cela aux écrits pour adultes qui se prêtent à l’analyse stylistique par le prisme de la transgression, la subversion, la transformation des formes canoniques et dominantes. Pour autant, ce corpus caribéen pour la jeunesse mobilise bien, sur le plan littéraire, des poétiques de résistance mineure. Ces dernières se caractérisent par ce que nous nommerons, à la suite de Glissant, une poétique de la trace. Les jeunes personnages suivent la trace de leurs ancêtres et les indices du passé colonial à travers une quête mémorielle qui se fait hors les livres d’histoire et hors les murs de l’école, en deçà de l’écriture, et parfois en deçà des mots. La mémoire à la fois collective et intime du lieu s’incarne tantôt dans la figure de l’aïeul·e et dans la transmission intergénérationnelle par l’oralité, tantôt hors du verbe lui-même, dans les témoignages immatériels que délivrent les paysages, l’architecture ou encore la musique qui empreignent ces espaces.