Dans les années 1920, les aventures du Sitio do Picapau Amarelo (la ferme du Pivert Jaune) de Monteiro Lobato marquent un tournant dans l’histoire de la littérature de jeunesse au Brésil. Lobato situe ses héros dans une propriété agricole typique des campagnes du début du XXe siècle. Cet espace familier est bordé par une rivière qui permet l’accès magique au Royaume des Eaux Claires que l’héroïne explore dans le premier volume. Étudier la topographie de cette ferme imaginaire est intéressant pour trois raisons. D’abord, les personnages du canon littéraire se rendent à la ferme, et les personnages de Lobato voyagent eux-mêmes entre les mondes – en Grèce Antique aussi bien qu’au Pays de la Grammaire. Ces transferts et voyages sont pour Lobato un moyen de s’affirmer dans la filiation et en rupture avec les contes et les grands classiques européens (Lewis Carroll est un intertexte majeur). Ensuite, les seuils entre intérieur et extérieur déjouent les stéréotypes genrés. L’héroïne et sa poupée vivent des aventures extraordinaires en dehors des préoccupations domestiques, une révolution pour l’époque. Enfin, ce microcosme est une miniature de la société post-esclavagiste. La bibliothèque est le royaume de la grand-mère, la cuisine est celui de la servante noire. Dans les mondes merveilleux où elles se déplacent, cette séparation se reproduit. L’œuvre, aujourd’hui accusée de racisme, expose sans détour les hiérarchies de classe, de race et de genre qui perdurent.