Sans être vraiment nouvelle, la place de l’identité et de l’altérité au sein de l’enseignement de l’histoire-géographie constitue une question récurrente dans le champ postcolonial et dans le cadre des études consacrées à la sociologie du curriculum en contexte ultramarin. Elle débouche sur la question plus large de la « fabrique des savoirs scolaires » et sur le rôle joué par les différents acteurs du système éducatif (Harlé, 2009). Déterminer ce qui doit être enseigné ne peut ainsi être considéré comme une opération « tranquille » (Audigier, 2005) surtout dans le contexte des Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM) où la pression sociétale altère quelque peu le poids de la doxa éducative nationale et fait émerger des enjeux identitaires à forte consonance politique. C’est surtout le cas de l’« histoire enseignée dont les principes narratifs, les programmes proposés et les approches recherchées sont confrontées, depuis le début, aux défis posés par la diversité culturelle et le pluralisme constitutifs de la société réunionnaise » (Lucas, Serviable, Guesnet, 2016). Depuis le début des années 2000, l’enseignement de l’histoire-géographie a fait l’objet de plusieurs adaptations des programmes nationaux afin de répondre aux spécificités des territoires ultramarins. Il s’agit non seulement d’intégrer les minorités ultramarines à l’histoire de la nation française mais également de tenir compte des contextes historique et culturel dans lesquels se sont façonnés ces territoires (Bourlaud, 1999 ; Lancelot, 2000). Ces adaptations, qui ne concernent pas directement les programmes d’éducation morale et civique, questionnent cependant les formes de construction d’une citoyenneté adaptée aux spécificités identitaires réunionnaises voire indiaocéaniques puisque ces adaptations ont été étendues au département de Mayotte en 2017. En nous appuyant sur une enquête menée sur les adaptations de programmes mises en œuvre à La Réunion depuis 2000, notre propos est d’analyser les tensions sous-jacentes à l’élaboration d’une « citoyenneté plurielle » (Legris, 2010) dans le cadre d’une reconnaissance des spécificités identitaires réunionnaises. Nous nous appuyons ici sur le cadre de référence du « curriculum caché » tel que défini par Perrenoud (1993) et Apple (2004), et discuté par Barthes & Alpe (2013). Le recueil des données s’appuie sur un questionnaire d’enquête auprès des enseignants d’histoire-géographie de La Réunion afin d’évaluer les thèmes abordés en classe, les ressources pédagogiques mobilisées, les logiques de formation engagées au niveau académique et les problèmes de mise en œuvre rencontrés. Des entretiens ciblés auprès d’une dizaine d’enseignants documentent ensuite les évolutions qui ont conduit à infléchir l’approche d’une logique d’adaptation vers une contextualisation à partir de logiques locales. A travers ce corpus, nous montrons l’émergence d’un questionnement autour de la citoyenneté et de l’identité qui ne peut se comprendre dans le contexte réunionnais sans que soit prise en compte une certaine éthique de l’altérité au sein des pratiques enseignantes.