Socrate apparaît aux yeux de l’histoire comme un bon vivant, à la fois curieux et drôle. Les interprétations de l’ironie socratique ont proliféré au cours de l’histoire – ironie un peu grossière, un peu ambiguë, parfois frôlant les sophismes – et ont finalement abouti à l’ironie romantique. En contraste avec cette image, Platon a tout au long de l’histoire joui de la réputation d’un homme austère, voire ascétique, détaché de la réalité : un rêveur des Idées. Le motif de l’amour platonique est le symbole de cet allègre oubli du fait que, au-delà de Socrate, c’est Platon qui met en scène son maître, qui administre son humour et dose son ironie. L’idée de l’humour platonique est donc une tentative d’explorer ce paradoxe, dans l’espoir de faire bouger les lignes. La thèse défendue ici est que l’ironie platonicienne n’opère pas sur le même plan que l’ironie socratique. Celle de Socrate intervient dans une relation entre des personnes, elle est « psycho-logique », elle offense et fâche, alors que celle de Platon s’intègre dans le fonctionnement même de la pensée. L’une agace et peut faire rire la foule, mais elle est cruelle ; l’autre émerveille, elle est raffinée et sollicite une certaine pétulance de la pensée. L’une trouble et bouleverse, l’autre fait adhérer à une construction intellectuelle et, par le sourire, en atteste. L’ironie de Socrate a pour fonction de secouer, celle de Platon va plus loin, car elle est impliquée dans un jeu qui lie la figuration et la réflexion, la mise en scène du dialogue et l’intelligence des concepts. Chaque dialogue de Platon est une orchestration de l’ironie, du sens de l’humour, des clins d’œil, des pastiches et des sous-entendus qui trouvent toujours leurs pointes, à la fois drôles et instructives. Pointes à saisir au vol, cela va sans dire, car l’ironie impose à la pensée une temporalité qui lui est propre. Dans ces dialogues, Socrate n’est souvent qu’un élément du jeu qui dépasse ses positions. Pourtant on néglige la fonction du sens de l’humour dans la construction de la pensée chez Platon, fût-elle la plus abstraitement sèche au bout de ses aventures.