Les pesticides ont longtemps été associés à une avancée révolutionnaire pour protéger les cultures, améliorer les rendements agricoles, et répondre aux besoins alimentaires d’une population mondiale grandissante. Cependant, avec les mises au jour de plus en plus fréquentes des effets incontrôlés de ces substances chimiques, le modèle agro-alimentaire dominant qui s’est imposé à l’échelle de la planète terre connaît une crise profonde. Ce modèle est basé sur l’intensification agricole et l’utilisation croissante d’intrants agricoles issus de la chimie de synthèse. Ses conséquences, telles l’épuisement des sols, la perte de la biodiversité, les résistances aux molécules, les achats croissants de pesticides, l’affaiblissement de la santé humaine et animale, sont de mieux en mieux connues. Les modes de production agricole et de consommation alimentaire sont dès lors réinterrogés, sur le plan social, économique et/ou politique, à des degrés variables en fonction des contextes. La question des alternatives est saisie par de multiples acteurs, politiques, économiques et citoyens. Cependant, les dynamiques de transformation sont lentes et confrontées à des rapports de force et des conflits idéologiques. Pour penser la transition vers un modèle plus durable, moins polluant et moins anthropocénique (i.e. qui tienne compte de l’interpénétration entre les humains et les natures), les sciences sociales jouent un rôle essentiel. Elles participent à la compréhension interdisciplinaire des ressorts de la crise qui s’exprime de façon unique d’une région à l’autre. Partant du principe que les règles de circulation et d’utilisation des pesticides sont respectées, ces molécules reçoivent une autorisation de mise sur le marché. Or, l’efficacité de ces molécules est socialement construite et redéfinie à chacune des étapes de leur circulation, à partir d’un millefeuille d’interconnexions qui met en lien les molécules et le monde vivant. En inscrivant cette communication dans le domaine des humanités environnementales, je propose de décrire, à partir d’une ethnographie des pesticides réalisée dans une région de production maraîchère du Sud-est du Cambodge en 2018 et 2019, les mécanismes qui concourent à l’utilisation croissante de ces substances.