Theâtre in-yer-face dans l'espace roumanophone contemporain : mise en scène de la violence et rapport au réel En 2001, Aleks Sierz théorise un théâtre in-yer-face déduit des pièces de Sarah Kane, Mark Ravenhill et Anthony Nielsen, emblématique de la scène britannique des années 1990. Le metteur en scène serbe Miloš Lazin envisage quant à lui un horizon plus large sous le terme « nouveau drame », qui englobe une nouvelle écriture dramatique « mondialisée ». C'est un théâtre radical, jeune, libéré du joug soviétique, qui retrouve la parole et le goût de la vérité en reprenant plus ou moins consciemment une esthétique in-yer-face. Mais quelle image de la société renvoie-t-il ? Quel désenchantement du monde traduit la violence de la scène post-soviétique contemporaine ? Dans U.F. (2004), le jeune dramaturge roumain Stefan Peca prend au pied de la lettre la chanson de South Park Uncle Fucker. Le trash et le sexe se font alors bouffonnerie pour dire la vacuité de ce nouveau monde éclaté, sans idéologie ni religion, rempli par le sexe, la télévision, et les jeux vidéos. Alors que Stefan Peca met en scène une vision encore postmoderne du monde, sa compatriote Gianina Cărbunariu livre, avec Kebab (2006), une pièce tout aussi violente mais bien plus réaliste. Interdite pour son «langage indécent» par un théâtre privé à Bucarest quelques jours seulement avant la première, Kebab est pourtant devenue l'une des productions les plus fréquemment présentées à l'étranger. Dans ce huis-clos entre trois personnages, Madalena 15 ans, venue in Irlande pour devenir une star de cinéma, Bogdan, étudiant Erasmus en arts visuels, et Voicu, petit ami violent et proxénète, violences verbale et physique s'exercent sans métaphore ni poésie. La dénonciation du monde passe par une sortie du symbolique pour rentrer dans un nouveau naturalisme troublant, qui met en scène la face cachée de l'Europe, une marginalisation violente et terriblement présente. Enfin, l'illusion du vrai devient réalité dans la pièce documentaire Le Septième Kafana des dramaturges moldaves et roumains Dumitru Crudu, Nicoleta Esinencu et Mihai Fusu (2004). Dans ce théâtre documentaire in-yer-face, recueillant les témoignages de rescapées de réseaux de prostitution, il devient difficile pour le spectateur de se réfugier derrière sa superbe choquée. La réalité serait-elle l'ultime « tactique de choc » pour secouer le public et lui faire passer le message ? Référence : « Theâtre in-yer-face dans l'espace roumanophone contemporain : mise en scène de la violence et rapport au réel », in Le théâtre in-yer-face aujourd'hui : bilan et perspectives, n°28 de la revue Coup de Théâtre, BLATTES (Susan), CUISINIER-DELORME (Samuel), 2015, pp. 159-174 1