Sur la piste du lion noir
Résumé
No contemporary classification lists the black lion among the various subspecies of Panthera leo. Yet this beast existed in the collective imagination at a time when Europe saw in the great African hunts the emblem of its domination over the rest of the world and the quintessence of the spirit of adventure. In the second half of the nineteenth century, the animal became an epistemological possibility. African fauna was then being inventoried, and accounts of great hunts provided field information that was taken up in scholarly and popular literature. For their part, hunters who take up writing willingly adopt the posture of the naturalist, weighting their adventures with the seriousness of pedagogy. They name their game, classify it and describe its characteristics and behavior. In the case of lions, panthers and tigers, they mainly assess their degree of ferocity. The information that hunters present as scientific is therefore inseparable from an assessment of their own courage. In 1855, Jules Gérard's La chasse au lion heightened his knowledge of Algerian fauna by classifying lions into three species: the fawn, the grey and the black, which is said to be remarkably dangerous. Jules Gérard's description, based more on the animal's behavior than on an uncertain color, halfway between black and fawn, allows for freedom in the visual representation of black lions. In a whole series of cultural productions in the second nineteenth century, black lions were given a variety of coats, revealing, ultimately, that the primary aim of representations of great hunts is to carry the public away from everyday life in a series of far-off, terrible adventures whose degree of reality is, in the final analysis, of little importance.
Aucune classification contemporaine ne mentionne le lion noir parmi les différentes sous-espèces de Panthera leo. Ce fauve a pourtant existé dans l’imaginaire collectif à l’époque où l’Europe voyait dans les grandes chasses africaines l’emblème de sa domination sur le reste du monde et la quintessence de l’esprit d’aventure. Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, l’animal constitue une possibilité épistémologique. La faune africaine est alors en cours d’inventaire et les récits de grandes chasses fournissent des informations de terrain qui sont reprises dans la littérature savante et de vulgarisation. De leur côté, les chasseurs qui se lancent dans l’écriture adoptent volontiers la posture du naturaliste, lestant ainsi leurs aventures du sérieux de la pédagogie. Ils nomment leur gibier, le classent, en décrivent les caractéristiques et le comportement. S’agissant des lions, des panthères et autres tigres, ils évaluent surtout leur degré de férocité. L’information que les chasseurs présentent comme scientifique est donc inséparable d’une appréciation sur leur propre courage. En 1855, dans La chasse au lion, Jules Gérard valorise celui-ci et sa connaissance de la faune algérienne en produisant un classement en trois espèces de lions : le fauve, le gris et le noir qui serait remarquablement dangereux. La description de Jules Gérard qui s’appuie sur le comportement de l’animal plus que sur une couleur incertaine, à mi-chemin du noir et du fauve, ménage de la liberté en matière de représentation visuelle des lions noirs. Ceux-ci seront dotés de pelages variés dans toute une série de productions culturelles du second dix-neuvième siècle où ils révèlent, en dernier ressort, que l’enjeu premier des représentations de grandes chasses consiste à emporter le public loin du quotidien dans une série d’aventures lointaines et terribles dont il importe finalement peu d’évaluer le degré de réalité.