L’article montre comment l’auteur de la Recherche organise son évocation du conflit à partir de 1916, l’année de Verdun, et transforme Combray en métaphore du territoire national. Loin d’inscrire l’événement dans un cadre idéologique stable, il fait entendre les discours concurrents qui interprètent, et pour certains produisent, l’hécatombe. L’ouverture de la séquence de la guerre, en forme de chronique inspirée par la mode de 1916, donne le ton. En comparant ces pages de la Recherche aux textes que Camille Duguet a publiés pendant la guerre dans sa rubrique « Propos féminins », l’article fait l’hypothèse que Proust a nourri sa verve satirique du souvenir des clichés de la chroniqueuse du Figaro et de ses discours sur la mode qui transcrivent hypocritement l’aspiration au plaisir des civils dans la rhétorique du civisme de guerre. Mais, loin de considérer la mode comme anecdotique, l’écrivain qui dit vouloir bâtir son œuvre « comme une robe » la voit comme un indice du caractère cyclique de l’Histoire. À la manière des étoffes de Mariano Fortuny qui, en réinventant la Renaissance, montrent que tout doit revenir, les collections de 1916 recréent les tenues du Directoire qui, elles-mêmes, citaient les drapés de l’Antiquité égyptienne et gréco-romaine. La Grande Guerre du roman dit, à la fois, « le Temps perdu » et « le Temps retrouvé ». Dans un contexte de conflit mondial qui a déstabilisé la représentation occidentale d’une Histoire orientée vers un progrès continu, l’auteur de la Recherche indique ainsi que le spectaculaire changement historique induit par la guerre recouvre, en réalité, un filigrane ancien et une forme de permanence.