De l'humour comme mise en jeu (enjeu) des identités : Djihad, une pièce de théâtre en contre-discours de propagande 1 C'est à la suite d'une déclaration de Marine Le Pen 2 , qui affirmait ne pas voir de problème à ce que des jeunes partent combattre en Syrie à condition qu'ils ne retournent pas en France, et afin de contrer les discours d'embrigadement que l'auteur belge Ismaël Saidi a écrit Djihad, la pièce, qui raconte l'histoire de Ben, Reda et Ismaël, […] trois jeunes Bruxellois qui font face à l'oisiveté de leur vie. Ils décident de partir au nom de leur religion en Syrie pour combattre aux côtés des autres djihadistes. Le long de cette odyssée tragi-comique qui les mènera de Schaerbeek à Homs, en passant par Istanbul, ils découvriront les raisons qui les ont chacun poussé à partir et devront faire face à une situation beaucoup moins idyllique que prévue. (https://djihadspectacle.com/a-propos/) Compte tenu du sujet sensible que Saidi aborde dans sa pièce, on peut se demander comment il a réussi son pari sans (trop) faire polémique. Une des réponses est certainement l'humour employé par l'auteur, un humour qui vise à déconstruire et à dénoncer, mais sans attaquer ou viser un seul groupe, et qui se manifeste par un ensemble d'oppositions et de téléscopages qui, tantôt en choquant, tantôt en montrant l'absurde d'une situation, fait réfléchir. C'est par l'analyse de ces éléments que nous souhaitons montrer comment cet humour construit, à travers Djihad, la pièce, un contre-discours à la propagande et à l'embrigadement. 1. La construction de deux idéologies antagonistes Deux idéologies antagonistes se dessinent, l'une que l'on pourrait nommer « libérale », l'autre « religieuse », et donnent dans leur confrontation la force comique de la pièce. La première idéologie est libérale en ce que le texte accorde une grande place aux processus d'individuation des personnages, c'est-à-dire de leur construction comme sujets à part entière (Giddens 1991). Cela passe notamment par la description, au fil des dialogues, de leurs aspirations personnelles profondes. Ainsi, la pièce met en scène trois personnages principaux. Le premier est Ismaël, le plus tiraillé des trois. On sait de lui qu'il dessine depuis tout jeune et que c'est la seule chose qu'il considère savoir faire ; il veut devenir mangaka. Le second, prénommé Reda est un personnage naïf par qui le rire arrive généralement. L'un des ressorts humoristiques de la pièce est notamment son appétence au tourisme, à l'alcool et au jeu vidéo Call of Duty. Il est en fait ingénieur, sans emploi, qu'il est profondément amoureux d'une jeune femme nommée Valérie, son seul véritable intérêt dans la vie. Enfin, Ben, personnage en colère, présenté comme le plus religieux et le plus radical des trois. Il manifeste une passion pour Elvis 1 Nous remercions Marie Barré, étudiante à l'Université du Québec à Trois-Rivières, pour son aide précieuse lors de l'analyse. 2 Anecdote citée par Ismaël Saidi dans le prologue de sa pièce.