Quel rôle joue l’imagination dans l’invention philosophique ? Dans la philosophie classique, l’imagination conduit à des « chemins qui ne mènent nulle part » comme le dit beaucoup plus tard Heidegger, qui montre comment l’erreur ou l’errance co-appartiennent à la vérité (Kant et la métaphysique). Depuis Kant et l’idéalisme allemand elle gagne en dignité et en fonctionnalité, et appartient vraiment à la connaissance, en généralisant la fonction du style. La philosophie contemporaine tend à ne plus traiter l’imagination comme une « faculté », vision d’une positivité désuète, mais plutôt comme un régime de pensée (Sartre et Bachelard). Supposons qu’elle soit plutôt une façon d’habiter un monde tout en en simulant d’autres. Les régimes d’invention dans la philosophie contemporaine font de l’imagination un moment d’intensité entre les éléments constituants de la philosophie, a priori et empirique, en réorientant l’oblicité du transcendantal qui les relie. L’imagination fait alors comprendre les relations entre les philosophies autrement que par l’idée d’une supériorité de l’une sur les autres. Même si des philosophes créateurs ne peuvent véritablement se rencontrer, il est possible de construire des passages entre les philosophies, et ce sont ceux-là qui nous rendent véritablement philosophes. Nous postulons une multiplicité de droit des philosophies, où ces passages sont conçus comme des extensions expérimentales et fictionnelles, sous deux hypothèses. La première, celle d’un obscur cogito (= il y a toujours une philosophie que l’on ne comprend pas), la seconde, celle d’un secret ouvert (la philosophie ne se cache pas, elle reste invisible). L’imagination serait, ce qui dans chacun des mondes philosophiques, nous ferait vivre dans le même mouvement l’ouverture et l’obscurité qui nécessairement lui appartient.