Les pratiques empiriquement constituées s'inscrivent dans des configurations et des contextes d'action précis : elles témoignent alors de la réflexivité pratique des agents ordinaires. Dans de telles problématiques (A. Giddens, V. Descombes, L. Kaufmann...), se déploie-t-il une nouvelle conscience intersubjective de la potentialité et de la dignité humaine ? D'une telle réciprocité des consciences peut-il émerger un monde alternatif à l'ordre social institué ? Fortement marqué par la présence de communautés humanistes, l'échange poétique en France au début des Temps Modernes prend, avec de telles questions, l'aspect d'une expérience communicationnelle originale à la fois dans l'espace ludique des échanges familiers et dans l'espace ritualisé de la vie civique. En effet, le discours de communication importe ici moins par l'objet poétique que par le lien qu'il crée : il est une forme de célébration réflexive du lien social. Les pratiques poétiques témoignent donc de l'invention d'u n espace de socialité fondée sur une communauté naturelle. Le sujet poétique relaie, diversifie ainsi le vivre ensemble d'un corps politique fortement investi dans une unité mystique. Dès son apprentissage, la poésie mobilise des croyances sociales qu'elle permet d'incorporer et de « naturaliser », à l'exemple des Jeux Floraux de Toulouse, où se crée et se légitime la possibilité de l'échange au cœur d'une nature humaine fondatrice. À l'échelle des individus, la figure universalisante du poète permet d'affirmer la libre construction, en chaque homme, de ce que peut être la qualité d'homme, et non l'actualisation d'une essence préexistante. À ce titre nous trouvons dans le corpus des poètes des fragments nominalistes sous forme d'énoncés poétiques constitutifs même de l'interaction des individus dans les rituels poétiques. Ainsi dans le processus d'invention de la société, voire des sciences de l'homme, l'expérience poétique occupe une place singulière, remarquable en terme de refondation normalisé du lien social.