Les professeurs de droit citoyens : entre ordre juridique et espace public, contribution à l'étude des interactions entre les débats et les engagements des juristes français (1914-1995)
Les professeurs de droit citoyens : entre ordre juridique et espace public, contribution à l'étude des interactions entre les débats et les engagements des juristes français (1914-1995)
Résumé
The study scans the "order" of law professors in its relationship to its environment, at the crossroads of theory and political sociology. It is based on a neo-institutional analysis which makes it possible to observe the interactions between internal and external issues within the legal order. The thesis is structured around three axes. What is brought to light is the "preservation" of the order in the face of social and political disturbances, the "contribution" of the order in intellectual and institutional debates, the collective "confrontation" in the face of public authorities and in the political order. The study specifies how, although foreign to the Dreyfusard figure of the committed "intellectual", jurists were able to act differently in the city. The exceptional circumstances of the First World War forced jurists to contravene the culture of withdrawal and to maintain a new, close relationship with political power; they also result in marking the crystallization of the "order": we observe a real intellectual dynamic which takes place at the crossroads of epistemological and social questions (thinking as an intellectual on "scientific" questions which are also part of the challenges of the society). The debate remains limited to legal questions and remains confined, withdrawn from public debates within the body of jurists (as opposed to the "intellectual" debates of writers and literary figures with greater visibility). Overall, this diagram, despite its substantial modification by the erasure after the 1920s of the figure of the learned jurist in favor of the expert jurist, was not called into question before the end of the century. Three periods appear: that of “law outside debate” between the two wars; that of “law without debate” due to the primacy of political decisionism in authoritarian regimes then the instrumental reading of the rule of law until 1958; finally that of "law in debate" with the advent of the Fifth Republic and the increased publicity of legal questions since 1968, which marks a process of decrystallization of the order, it gradually investing the public space.
This presentation is intended to serve to question the place of legal thought within French cultural and intellectual historiography in the 20th century.
L'étude fonde une radioscopie du corps des universitaires du droit dans son rapport à son environnement, au carrefour de la théorie et de la sociologie politique. Elle s'appuie sur une analyse néo-institutionnelle qui permet d'observer les interactions entre les enjeux internes et externes à l'ordre des juristes. La thèse s'article autour de trois axes/notions. Sont mises au jour la "préservation" du corps face aux perturbations sociales et politiques, la "contribution" du corps dans les débats intellectuels et institutionnels, la "confrontation" collective face aux pouvoirs publics (logique corporative) et dans l'ordre politique. L'étude précise en quoi, bien qu'étrangers à la figure dreyfusarde de "l'intellectuel" engagé, les juristes ont pu agir autrement dans la cité. Les circonstances exceptionnelles de la Première Guerre mondiale obligent les juristes à contrevenir à la culture du repli et à entretenir un nouveau rapport étroit avec le pouvoir politique ; elles aboutissent aussi à marquer la cristallisation du corps : l'on observe une réelle dynamique intellectuelle qui s'effectue au carrefour d'interrogations épistémologiques et sociales (réfléchir en intellectuel sur des questions "scientifiques" qui font aussi partie des enjeux de la cité), dynamique caractérisée par une double délimitation: le débat demeure circonscrit aux questions juridiques et reste confiné, en retrait des débats publics au sein du corps des juristes (par opposition aux débats "intellectuels" des écrivains et littéraires à plus forte visibilité). Globalement ce schéma, malgré sa modification substantielle par l'effacement après les années vingt de la figure du juriste savant au profit du jurisconsulte expert, n'est pas remis en cause avant la fin du siècle.
Trois périodes apparaissent : celle du "droit hors débat" public entre les deux guerres ; celle du "droit sans débat" à raison de la primauté du décisionnisme politique en régime autoritaire puis de la lecture instrumentale de la règle de droit jusqu'en 1958 ; celle enfin du "droit en débat" avec l'avènement de la Ve République et la publicisation accrue des questions juridiques depuis 1968, qui marque un processus de décristallisation du corps, celui-ci investissant progressivement l'espace public.
Cette radioscopie du corps entend ainsi servir à interroger la place de la pensée juridique au sein de l'historiographie culturelle et intellectuelle française au XXeme siècle.