Les soixante-dix parcours que nous avons étudiés pour mener cette enquête au long cours sont tous ceux de personnes qui, sociologiquement, ne devraient pas se situer où elles se trouvent. Une femme saoudienne née dans les années 1980 n’était assurément pas destinée à se retrouver cadre supérieure. Une femme ou un homme issu de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine, issu d’une famille nombreuse vivant dans un quartier populaire et ayant grandi dans un milieu socialement défavorisé n’était pas non plus destiné à atteindre la classe moyenne, voire la classe moyenne supérieure française. Plutôt que l’expression de transfuges de classes qui vise à comprendre pourquoi ces personnes sont devenues ce qu’elles sont, nous avons souhaité aborder la question du « comment ? », en ligne avec l’école de Chicago et tout particulièrement Howard Becker. Le recueil des récits des personnes que nous avons interrogées semble ainsi exempt de ce sentiment de honte ou de trahison. Certes, comme l’explique Gérald Bronner, elles avouent souvent avoir eu des difficultés à acquérir les « codes » de la société majoritaire et parfois, se retrouvent dans des situations qui leur rappellent d’où elles viennent, mais nous n’avons pas perçu ce sentiment de honte. La question du « comment » elles sont arrivées là permet de dresser une cartographie des étapes de l’intégration au sein d’une société majoritaire qui n’est pas spécialement destinée à les accueillir en son sein. De l’enfance à l’âge adulte, les personnes interrogées ont pu décrire des trajectoires d’intégration. La monde politique pourrait qualifier ces trajectoires « d’exemplaires », mais les statistiques nous incitent, de façon contre intuitive, à relativiser le caractère exceptionnel de ces parcours. S’ils ne sont pas la norme, ils sont relativement fréquents et la société majoritaire observe ce phénomène sans être souvent capable de l’expliquer dans une société qui, pourtant, apparait comme de moins en moins fluide. La particularité des personnes interrogées porte sur leur culture et leur religion. Elles revendiquent toutes une culture arabe ou nord-africaine et une religion, l’islam. En revanche, si les femmes du Golfe se sont senties accompagnées et aidées par les réformes prises par les gouvernements de leurs pays, les Français d’origine nord-africaine ne se réfèrent jamais à une mesure d’action publique qui les aurait aidés à s’intégrer. Leur parcours se construit, selon eux, par une somme d’opportunités qui, mises bout à bout, leur a permis de devenir ce qu’ils sont. C’est tout le travail du chercheur de trouver une cohérence au sein de ces parcours d’intégration pour pouvoir ensuite aider à la traduire en termes d’action publique. Les gouvernements occidentaux affirment, sans exception, leur volonté d’intégrer les étrangers. La France est plus particulièrement concernée par cette problématique qui est un enjeu à la fois électoral et de politiques publiques. Or, parmi les parcours que nous avons mis en avant, aucun ne valorise une quelconque politique publique d’intégration. Au contraire, plusieurs des personnes interrogées mettent l’accent, en creux, sur des obstacles créés par la politique de l’intégration. Cette critique peut même parfois laisser imaginer qu’une absence d’action publique les aurait davantage aidés.