L’histoire des enquêtes de consommation alimentaire s’incarne on ne peut mieux dans la polysémie du terme « mesure » entendu à la fois comme quantification, étalon, action ou modération. Ces acceptions renvoient, par exemple, à la construction d’un indice administratif du niveau de vie par la quantification des dépenses, à l’élaboration d’une ration alimentaire type par la science nutritionnelle, au développement de l’enseignement ménager par l’Instruction publique ou encore aux campagnes publiques d’institutions prônant la tempérance. Elles s’entrecroisent dans la conception des enquêtes et dans les enjeux qui les traversent et se cristallisent tout particulièrement dans le budget domestique. Celui-ci fait de longue date l’objet d’évaluations quantitatives autant que de considérations morales et normatives, en rapport notamment avec le coût de la vie. Ces tentatives contribuent à mettre sur la place publique une dimension éminemment privée et, en principe, soustraite au regard des autres : la gestion familiale des ressources et des dépenses, les difficultés inhérentes à de faibles rémunérations ou les priorités que chacun accorde selon sa conception du « bien vivre ».