Le «Libre», c'est-à-dire la production de logiciels distribués avec leur code source et avec l'autorisation de les modifier et de les redistribuer librement (à condition que cette redistribution soit faite aux mêmes conditions), est en train de devenir un des modèles économiques importants de l'industrie informatique. L'objectif de ce travail est d'en proposer une analyse économique. Bien que ce système de production semble aller à contre courant de la marchandisation progressive de la production du logiciel, nous défendons l'idée que c'est une organisation économique efficace et pérenne. En effet, les progrès technologiques actuel, l'arrivée des réseaux (et notamment d'Internet) transforment la demande, qui est de plus en plus sensible à ces problèmes de compatibilité, de pérennité et de personnalisation des solutions informatique. Or, le caractère ouvert et modulaire de la production Libre favorise le développement de normes, garantissant l'interopérabilité et un niveau minimum de qualité pour ces logiciels, ce qui incite les producteurs à les utiliser. Parce que la relation de service devient de plus en plus importante dans l'industrie informatique, ils sont incités à contribuer à leur production, afin de signaler la qualité de leur travail et de maintenir leur niveau d'expertise sur le fonctionnement des logiciels qu'ils adaptent. Nous comparons alors le Libre à l'organisation de production propriétaire et nous montrons qu'elle est sans doute plus efficace parce qu'elle gère mieux l'innovation incrémentale et donc diminue l'inefficacité du contrôle monopolistique des standards qu'engendre le système propriétaire. Mais à cause de ces effets de standardisation, la diffusion des logiciels libres et donc du Libre sera lente, concernera d'abord les entreprises et les logiciels techniques, ensuite seulement l'ensemble des utilisateurs et les logiciels qu'ils utilisent (système d'exploitation, logiciels de traitement de l'information personnelle, etc.) L'enquête que nous avons menée auprès des entreprises françaises utilisant le libre pour construire leurs offres commerciales semble indiqué que, même si elle est à ses débuts, la première phase a commencé et a les caractéristiques attendues. Nous analysons les caractéristiques possibles de la deuxième phase grâce à un modèle de concurrence technologique, inspiré des travaux Dalle [1995] et Dalle & Jullien [2000]. La conclusion que nous tirerons de ce travail est la suivante: dans le cas du logiciel, l'évolution technologique revitalise la production coopérative de connaissances et permet une nouvelle articulation entre cette production non marchande et une valorisation marchande. Plus qu'une collaboration public/privé, qui existait déjà, le Libre engendre un mécanisme, auto-entretenu, de collaboration marchand/non marchand, qui peut se montrer supérieur (au sens de Pareto), aux simples mécanismes de marché.