La pratique du jeu vidéo s’ouvre à de nouvelles catégories sociales plus âgées et plus féminines tandis que son offre marchande augmente en quantité et se diversifie . Le développement du modèle freemium (Auray and Vétel, 2013) et la diversification des productions de l’industrie vidéoludique (Zabban et al., 2020) ancrent le jeu vidéo, de sa production à ses usages, dans des écologies matérielles de travail et de loisir en pleine numérisation. L’utilisation des jeux vidéo s’insère ainsi dans le creux des journées par une myriade de pratiques ordinaires, routinières et interstitielles (dans les transports en commun, à la pause au travail, le matin en se levant ou le soir après le repas, aux toilettes, etc.). La sociologie de la culture s’est attachée à saisir les enjeux de la construction des goûts vidéoludiques (Hurel, 2020 ; Octobre et al., 2010) et des activités de jeu longues et passionnées (Boutet, 2012). Toutefois, elle peine à saisir ces pratiques interstitielles, articulées à l’usage de nombreux autres dispositifs numériques, trop courtes et aléatoires pour être saisies par l’ethnographie, ou trop invisibilisées dans le discours des personnes enquêtées pour se donner à voir par l’entretien. Cette communication cherche donc à étudier les pratiques interstitielles du jeu vidéo telles qu’elles s’inscrivent dans les actions quotidiennes et travaillent les routines par l’entremise de dispositifs nomades et numérisés. Pour en rendre compte, nous avons étudié les pratiques vidéoludiques des étudiant·es de l’Académie de Toulouse , au cours d’une enquête longitudinale et pluridisciplinaire appelée Akoitujou réalisée de 2015 à 2020 par questionnaire (n=6 119) et par entretiens semi-directifs approfondis (n=8). Le choix de la population étudiante répondait à l’objectif d’étudier une population en proie à d’importants changements dans l’organisation de ses cadres de vie et de sociabilité (départ du foyer parental, début de la vie active, nouveaux groupes de pairs, déménagements, reconfiguration des cadres de travail et de loisir, etc.). En ce sens, la population étudiante connaît de forts changements à l’entrée, pendant et à la fin de la période d’étude vis-à-vis des activités de travail (nouvelles façons de travailler individuellement et collectivement, nouveaux cadres spatio-temporels bien plus poreux que pendant le lycée, etc.), tout en connaissant des ruptures ou des bifurcations importantes dans leurs trajectoires de vie (déménagement, renouvellement intense des réseaux de sociabilité, etc.). Cette proposition s’inscrit dans les axes 1 et 4 de l’appel à communications, car elle ambitionne de discuter tant l’articulation des temps sociaux par l’usage de dispositifs numériques que la méthode de croisement des données pour saisir des usages de pratiques de « basse intensité » (Piette, 2009). Au cœur des transformations que connaissent les étudiant·es, caractérisées par l’arrivée de nouvelles contraintes domestiques et professionnelles, nous observons deux caractéristiques à ces pratiques de jeu de faible intensité : elles s’inscrivent dans des stratégies d’organisation et de gestion de l’emploi du temps, et elles permettent d’organiser des sociabilités en pleine mutation, à la lisière du travail et du loisir. Notre communication s’attachera d’abord à qualifier théoriquement et empiriquement ce que nous appelons les pratiques vidéoludiques interstitielles, puis elle montrera de quelle façon ce type d’usage du jeu par les étudiant·es est inscrit au cœur d’une organisation sociale qui se reconfigure par le passage d’un « âge de vie » à l’autre (Van de Velde, 2015). Entre futilité et négociations, les pratiques de jeu interstitielles s’inscrivent dans des stratégies d’organisation entre temps de travail et de loisir, et d’organisation des sociabilités au rythme des différentes séquences biographiques qui ponctuent la carrière étudiante (Dubet, 1994).