Sorti en 2000, le film La Veuve de Saint-Pierre place son intrigue en 1850, dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, dernier vestige de l’empire colonial français d’Amérique du Nord. Un marin ivre se rend coupable d’un meurtre sanglant et est condamné à mort. Un problème pratique se pose aux autorités locales : il n’y a pas de guillotine sur l’île et il faut attendre que la métropole en dépêche une. Pendant ce temps, la femme du capitaine dirigeant la petite garnison locale, qui joue aussi le rôle de geôlier, prend en pitié son prisonnier et se lance dans une entreprise de rédemption. Un triangle amoureux se forme, la capitaine se rapprochant de son prisonnier, tandis que son mari, lucide mais éperdument amoureux d’elle, l’accompagne au risque de mettre au péril sa carrière et sa vie. Le scénario de Claude Faraldo s’inspire d’un fait-divers réel, survenu en 1889 dans le petit archipel, l’affaire Néel. La critique salue une reconstitution historique méticuleuse, à laquelle il ne manque « pas un bouton de guêtre », qui présente un XIXe siècle rarement vu au cinéma, celui de ces terres lointaines de l’Atlantique Nord, dont l’exotisme n’a pas connu la même fortune que celui suscité par d’autres colonies. Pour ce faire, Patrice Leconte a mobilisé d’importants moyens, mettant à profit décors naturels, patrimoine historique des Provinces maritimes canadiennes, costumes d’époque et navires à voile. L’intérêt du film, pourtant, de l’avis général, et suivant la volonté même du réalisateur, ne réside ni dans cette reconstitution, ni dans les rebondissements de ce fait divers, ni même dans le plaidoyer abolitionniste et le récit de réintégration d’un criminel par la communauté. Le film est en effet principalement considéré comme un « mélo », le réalisateur assumant avoir voulu mettre en avant cette « extraordinaire histoire d’amour fou ». Ce sont des passions « intemporelles » (même si on pourrait arguer de leur caractère romantique, qui en font des passions typiquement associées au XIXe siècle) qui sont au cœur de la démarche du réalisateur, le microcosme saint-pierrais n’y restant qu’un simple décor. C’est là que certains ont vu la faiblesse du film, dans le décalage entre une coûteuse, voire pompeuse, superproduction historique à grand spectacle et une histoire d’amour plus subtile, dont un critique souligne qu’elle aurait gagné en puissance et intensité à être tournée dans le cadre d’un huis clos . Cela pose la question de la fonction des reconstitutions historiques. On pourrait en effet souligner que le XIXe siècle élaboré dans La Veuve de Saint-Pierre, un XIXe siècle pourtant exotique, portant sur un espace géographique et social habituellement délaissé dans les représentations, ne contribue finalement que de manière accessoire au propos du film. L’essor singulier de cette société morutière, le rapport à la peine de mort, l’administration coloniale, les antagonismes de classe, restent finalement à l’arrière-plan. Le XIXe cinématographique n’est-il pas souvent réduit à n’être qu’un décor grandiose, académique ou pompier ? Ce qui est aussi, après tout, une manière détournée mais sans doute involontaire de faire référence à une partie de la production artistique de ce siècle…