Démarche participative en Antarctique : exemple du programme pluridisciplinaire sur les conditions de vie et de travail des hivernants de la base Concordia
Résumé
Mener des recherches sur les conditions de vie des hivernants de la station Concordia en Antarctique pose la question de la nature et des conditions de la participation de ces acteurs fortement éprouvés par leur environnement de vie et de travail. Le design d’un projet de recherche récent donne l’opportunité de valoriser l’apport des sciences humaines et des démarches méthodologiques participatives, collaboratives afin de décrypter avec un grain plus fin l’expérience hors normes de ces acteurs de terrains extrêmes. Le projet – en réalité un ajustement d’un projet initialement conduit à l’origine sans recourir à une démarche participative – a l’ambition de renouveler la relation chercheur - acteur en conditions extrêmes, dans la station Concordia.
La station Concordia de l’Institut Polaire français est une Très grande infrastructure de recherche (TGIR), déploie son activité scientifique dans le cadre d’un partenariat franco-italien avec ouverture à l’international. Elle est bâtie à 3233 mètres d’altitude sur une calotte glaciaire de 4000 mètres d’épaisseur, dans une zone géographique qui contraint de facto le personnel à un hivernage et à un isolement de 6 mois. Ces conditions extrêmes s’imposent et se justifient puisqu’elles conditionnent la possibilité de la recherche en matière d’étude du climat terrestre passé, par carottage des glaces, et garantissent la qualité des études en matière d’astronomie, d’étude sur la physico-chimie de l’atmosphère (absence de pollution lumineuse).
C’est dans ce contexte et ce cadre qu’à Orléans, des chercheurs mènent un projet appelé « Physical Activity and Health, Pluridisciplinarity Approach in Ice », « activité physique et santé : approche pluridisciplinaire en conditions d’isolement et de confinement » (PAHPA ICE). Dans sa seconde version implémentée, le design du projet est reconsidéré et convoquent délibérément des méthodes collaboratives et participatives, dans le dessein de contrer les biais relevés lors du traitement du corpus des données du PAHPA ICE I.
Le programme PAHPA ICE 2 s’inscrit donc dans la continuité du projet précédent, et porte sur l'adaptation (ou la résilience) de l'Homme aux conditions extrêmes. Dans ce nouveau projet, l’hivernant est considéré dans son entièreté, en tant qu’individu devant avant tout réaliser un travail, mais aussi en tant qu’individu vivant une expérience hors du commun. Cet individu doit performer dans sa pratique de tous les jours dans des conditions dégradées, puisqu’il est soumis à de fortes contraintes dès son arrivée à Concordia : environnementales (températures froides), sociales (confinement), psychologiques (isolement), mais aussi physiques (hypoxie). La construction d'une articulation performance/santé est interrogée à travers ce travail pluridisciplinaire, avec pour enjeu celui de devoir construire sa santé dans de telles conditions.
Le protocole PAHPA ICE I est repris et repose sur le recueil mensuel de paramètres physiologiques (hormonaux par voie salivaire ; de dépenses physiques par le port d’actimètres et évaluation par questionnaires ; nutritionnels par photographies des assiettes ; de capacités physiques par tests physiques), psychologiques (par questionnaires portant sur l’humeur et les états de dépression), cognitifs (avec la mesure de la vigilance et de l’horloge interne). Le PAHPA II ajoute une dimension expérientielle, à partir d’entretiens en visioconférence ainsi qu’à la sortie de l’hivernage, avant leur départ de la base Concordia, qui viendront éclairer l’objet de recherche par l’empirisme et l’expérience d’hivernage (Vermersch, 1996 ; Theureau, 2015). L’expérience interrogée permettra de recueillir des données en première personne de l’ordre des perceptions, sentiments, préoccupations, émotions. Ces données qualitatives, recueillies à l’occasion d’entretiens multimodaux (avant – pendant – après) permettront de modéliser l’expérience, le vécu du point de vue du participant, et les connaissances qu’il élabore tout au long de son expérience d’hivernage, dans une perspective anthropologique située. Cette nouvelle dimension associe pleinement les hivernants dans une logique gagnant – gagnant
En effet, les conditions de PAHPA ICE I (faible taux de participation, manque de rigueur dans la réalisation des tests, lassitude d’un protocole répétitif, le fait de collecter des données sur un phénomène qui peut altérer le recueil de données, le fait que l’environnement polaire reste volatile et peu contrôlable, très variable, que l’humain soit lui-même très incertain…cf Villemain & al., 2023), nous conduisent à renouveler le design de la recherche dans ce type d’environnement et à l’inscrire dorénavant dans le cadre de démarches de recherche participative. Ce type d’approche permettra de donner du sens au programme et aux études menées dans ce domaine, de mettre le participant au cœur du projet. Ainsi, garantir la transparence des résultats, un accès immédiat à la suite des passations effectuées par les hivernants leur permettrait d’avoir un retour direct, d’accéder à une autre perception qu’ils ont d’eux-mêmes et d’optimiser la connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes dans de tels contextes extrêmes. La transparence et la disponibilité des résultats va également conditionner la nature des échanges menés lors des entretiens, l’ajustement plus efficient des protocoles de recueil de données en fonction des retours des participants.
Nous vous proposons de rendre compte de la construction de l’ingénierie de la démarche participative, tout autant que des difficultés et des moyens déployés pour convaincre des chercheurs rompus aux méthodes quantitatives de bien vouloir reconsidérer la place du participant dans un projet pluridisciplinaire, dans la construction et la diffusion de la connaissance.