(xix e siècle-première moitié du xx e siècle)

Professeur honoraire d'histoire moderne à l'université Grenoble Alpes

n ne visite pas le monastère. » Quiconque est allé un jour se promener au monastère de la Grande Chartreuse a pu lire cette pancarte placée à côté de la porte d'entrée (fig. 1). Pour tout un chacun, ce choix n'a rien que de très naturel. Il est en conformité avec la règle des pères, le « grand silence » et la coutume médiévale de Guigues le Chartreux qui précise que les chartreux n'ont pas à prendre en charge les étrangers. Cette totale fermeture n'est pourtant que récente. Longtemps, les religieux ont été ouverts aux voyageurs. Si la règle cartusienne et l'isolement ne permirent jamais au monastère de devenir un lieu de pèlerinage populaire, les visiteurs de qualité sont, depuis le début du xvii e siècle, de plus en plus nombreux à monter jusqu'au monastère. Au temps de l'institutionnalisation du Grand Tour, la Grande Chartreuse devient l'une des destinations dauphinoises « incontournables », la plus constante en dehors de la vallée du Rhône. Dans son guide de 1676, Le voyageur d'Europe, l'auteur recommande d'arriver dans le courant de l'après-midi pour avoir le temps de profiter d'une visite guidée sous la houlette d'un religieux, et de repartir le lendemain après le déjeuner. Selon le prieur Dom Le Masson, ce sont 7 000 à 8 000 visiteurs qui fréquentent chaque année le monastère. Exclusivement des hommes, ces voyageurs appartiennent pour l'essentiel aux élites aristocratiques et doivent ordinairement bénéficier de recommandations pour être accueillis au monastère. Après l'incendie de 1676, ils sont logés dans le grand bâtiment central, ViSitEr lE MoNaStÈrE dE la GraNdE CHartrEUSE

le « pavillon des étrangers », construit pour héberger les prieurs invités au chapitre général et divisé en quatre ailes des nations : Allemagne et Italie d'un côté, France et Bourgogne de l'autre. La Révolution et la première expulsion des pères chartreux interrompent cet usage. Néanmoins, dans les premières années du xix e siècle, la curiosité et le romantisme naissant suscitent un engagement nouveau pour le monastère 1 .

Laissé à l'abandon, victime sans doute d'importants pillages, c'est un monastère en mauvais état que découvre Châteaubriand lors de son excursion en 1805 : « Les bâtiments abandonnés se lézardaient sous la surveillance d'une espèce de fermier des ruines… On nous montra l'enceinte du couvent, les cellules accompagnées chacune d'un jardin et d'un atelier… Une galerie offrait les portraits des supérieurs de la Chartreuse 2 . » Mais, après leur retour en 1816, les pères se montrent accueillants aux visiteurs. Les voyageurs deviennent rapidement si nombreux que sont aménagés les chemins qui conduisent au monastère. Bientôt, écrit Jules Taulier dans l'Album du Dauphiné, « on pourra aller de Grenoble jusqu'à la porte du couvent, hermétiquement fermé dans la boîte d'une diligence : ce sera de la civilisation ! » 3 . Page de gauche 23. Voitures et cars en stationnement devant l'entrée du monastère.