Née en octobre 1969 avec la transmission du premier message via un réseau informatique à distance, l’interaction numérique est restée un « monde de l’écrit » (Feenberg, 1989) jusqu’au milieu des années 1990 et l’arrivée de ce qu’on appelle souvent le « web 2.0 » », ou web participatif, tourné vers l’interaction en ligne, par opposition au « web 1.0 », le web statique, dédié à l’affichage et la consultation de ressources statiques. Pour Susan Herring (2013), cette évolution vers le web 2.0 a été marquée par deux grandes tendances. La première est la convergence des modes, autrement dit le fait que les interfaces numériques en ligne, et encore plus particulièrement les réseaux sociaux, reposent désormais sur une convergence de canaux et de modes. La deuxième, qui va de pair avec la précédente, est l’enrichissement des ressources sémiotiques disponibles pour interagir en ligne, que l’on peut diviser en deux mouvements complémentaires. Le premier est un mouvement vers le visuel dans le discours en interaction écrit, qui correspond à ce que Marie-Anne Paveau (2019, 2021) nomme « iconisation du discours », « une utilisation de l’image qui dépasse la simple illustration pour devenir une véritable porteuse de sens » (2019). A partir du milieu des années 90, le monde de l’interaction écrite se peuple en effet peu à peu d’images utilisées avec toutes sortes de fonctions socio-pragmatiques : des smileys, des « images macros », puis des émojis, des GIFs ou encore de stickers. Le deuxième mouvement est un mouvement de l’interaction en ligne vers d’autres canaux que l’écrit, et ce plus particulièrement depuis le début des années 2010 et le développement de la vidéo et de l’audio comme canaux de communication numérique à distance. Dans cette perspective, cette communication a pour objectif de retracer les éléments et étapes principales de l’évolution du discours numérique en interaction, avec un angle sociolinguistique, c’est-à-dire centré sur les pratiques discursives de ses utilisateurs. Cette rétrospective a aussi pour but de montrer plus spécifiquement comment le discours numérique se développe autant autour des contraintes techniques que des affordances, c’est-à-dire de l’ensemble des fonctionnalités offertes par l’environnement numérique pour produire du discours en interaction. Les transformations sociolinguistiques de l’interaction numérique se font en effet dans cet espace de liberté qui existe entre les contraintes et les possibilités dictées par les dispositifs techniques, espace au sein duquel c’est in fine l’utilisateur qui fait évoluer le discours.