La réutilisation des eaux usées traitées (ou « REUT ») consiste à mobiliser de l’eau en sortie de station d’épuration, de la traiter de manière complémentaire au traitement qu’elle a déjà subi dans la station et à l’utiliser pour un certain nombre d’usages. De fait, elle vient se substituer à l’utilisation d’eau potable, permettant par là-même de diminuer la pression sur la ressource. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle reste anecdotique en France où moins de 1% des eaux usées traitées sont réutilisées, ce qui est peu comparativement à nos voisins italiens ou espagnols où les pourcentages de réutilisation se mesurent à deux chiffres, notamment pour des usages agricoles, [Ait-Mouheb et coll., 2018]. Rappelons en effet que l’agriculture reste la première consommatrice d’eau, [CIEAU, 2024]. Constatant un fort contraste dans les pratiques et les réglementations nationales des états membres, et alors que les effets du changement climatique vont croissants, l’Europe s’est saisi de cette question dès 2018 et proposé en 2020 le texte « Regulation (EU) 2020/741 of the European parliament and of the Council of 25 May 2020 on minimum requirements for water reuse » régulant l’usage des eaux usées traitées en agriculture. Soulignons que ce texte n’est pas une directive mais qu’il a statut de règlement. Autrement dit, à l’exception de quelques points laissés à l’appréciation des états et qui appellent éventuellement la mise en place de décrets d’applications, il s’impose tel quel en vertu de la hiérarchie des normes et s’applique à tous les états membres dont il remplace les règlementations nationales en vigueur relativement à l’usage des eaux usées traitées en agriculture. Au niveau français, le plan eau lancé début 2023 relance l’intérêt pour la REUT et vise en particulier le développement de 1000 projets de réutilisation sur le territoire d’ici à 2027. Pour accompagner ces évolutions attendues et étendre les champs d’applications des textes déjà en vigueur, plusieurs arrêtés et décrets ont vu le jour récemment. Aux côtés de mesures visant à promouvoir la sobriété dans le cadre du plan eau, les mesures touchant la REUT pourraient apparaître comme « de bon augure ». Toutefois, certains textes peuvent être publiés dans une relative précipitation et consolider, voire potentiellement créer les conditions dans lesquelles leur application pourrait s’avérer contre-productive. Cet article dresse un premier inventaire des points de la réglementation qui, selon nous, posent question, que ce soit sur le plan de la pertinence vis-à-vis des urgences actuelles, de certaines incohérences factuelles ou encore d’imprécisions qui nécessiteraient des développements complémentaires. Pour faire de la REUT un réel outil à la disposition de tous les acteurs pour promouvoir la circularité de l’eau sous contraintes sanitaires et environnementales, il est indispensable d’élargir son champ d’application, de réfléchir au rôle et aux conditions de développement des approches dites « décentralisées », par exemple en réfléchissant aux implications qu’aurait le fait de ne plus réduire la REUT aux eaux disponibles en sortie de station, de repenser la gestion de l’eau dans nos villes (quid des approches de « séparation à la source »), et, dans ce nouveau contexte qui vise en réalité un réel changement de paradigme, aborder de concert les questions des modèles économiques, de la gouvernance et de la responsabilité des différents acteurs… Les réflexions menées dans cette communication auront pour objet d’esquisser des pistes de travail, de poser les bases d’une réflexion visant à ébaucher les évolutions réglementaires nécessaires pour mettre en place cette vision globale, et in fine, de proposer une ou des trajectoires permettre le passage de l’approche linéaire de gestion de l’eau qui prévaut actuellement à une approche circulaire, seule à même de garantir la durabilité de la ressource. Références Ait Mouheb, N., G. Bourrié, B. Ben Thayer, B. Benyahia, B. Cherki, N. Condom, R. Declercq, M. Héran, R. Khalifa, B. Molle, D. Patureau, P. Renault, B. Romagny, C. Sinfort, J. P. Steyer, T. Sari, N. Wery and J. Harmand (2018) The reuse of reclaimed water for irrigation around the Mediterranean Rim: a step towards a more virtuous cycle?, Regional Environmental Change, Vol. 18, No. 3, pp. 693-705, DOI: 10.1007/s10113-018-1292-z.