Les réflexions menées par les pouvoirs publics actuels autour des enjeux du vieillissement et du handicap semblent se centrer sur la question de l’autonomie. Depuis le début des années 2000, avec la création de l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA), les mesures d’accompagnement du vieillissement se fondent sur la perte d’autonomie de la personne. Cependant, l’emploie de cette notion d'autonomie soulève de nombreuses ambiguïtés [Trépied, 2020], notamment en ce qui concerne son évaluation. Mesurée à partir des capacités des personnes à réaliser seules les actes de la vie quotidienne, l’autonomie s’apparente à une indépendance fonctionnelle [Dethoor, Hainselin and Duclos, 2021]. Or, les sociologues soulèvent l’importance de distinguer l’autonomie de l’indépendance. B. Ennuyer [2013] place la dépendance aux autres comme le fondement de notre existence. L’autonomie s’exprime au travers de relations d’interdépendance avec les autres. Par ailleurs, l’importance de l’environnement extérieur et du contexte particulier dans lequel une personne évolue sont des composantes essentielles du maintien de l’autonomie. À l’heure où les pouvoirs publics souhaitent entamer un « virage domiciliaire », l'approvisionnement en biens et services devient un enjeu crucial du vieillissement à domicile des personnes âgées. Nous souhaitons ainsi interroger ce que pourrait être un approvisionnement autonome. A travers les pratiques d’approvisionnement de personnes plus âgées vieillissant à domicile, nous illustrons différentes situations de maintien, de gain ou de perte d’autonomie. L’autonomie pour s’approvisionner dépend à la fois des caractéristiques individuelles (les conditions de santé, la capacité des personnes à se déplacer) mais également de la cohérence du territoire à ces capacités individuelles. Nous considérons ainsi que l’offre commerciale, ses conditions d’accès, les services de mobilité proposés favorisent ou contraignent le maintien de l’autonomie en vieillissant. La méthodologie adoptée repose sur des entretiens semi-directifs menés entre 2020 et 2022 auprès de 70 personnes âgées, interrogeant leur parcours biographique, leur mobilité achats, les pratiques d'achats par correspondance, les évolutions de ces pratiques et leur satisfaction résidentielle. Il n’a pas été demandé directement aux personnes si elles se considéraient autonomes ou non pour se procurer les provisions qu’elles souhaitaient obtenir. Le degrés d’autonomie des personnes est analysé à travers leurs capacités de faire (effectuer une commande, se rendre dans un commerce…) et de dire (choix des produits, des lieux et des horaires d’achats…) [Gagnon et al., 2016]. L’analyse se concentre sur les propos de 45 femmes, et 24 hommes âgés de 66 à 91 ans, avec un âge moyen de 77 ans. Quinze couples mariés ont été entendus conjointement, 2 hommes sont veufs et 12 femmes sont veuves. Leurs capacités à être mobiles, marcher ou conduire sont appréhendées à travers leurs discours et sont très hétérogènes. Cependant, tous et toutes peuvent se déplacer sur quelques centaines de mètres à pied et effectuent plusieurs sorties de leur domicile par mois. Afin de veiller à la diversité des profils, l’ancienne profession, la proximité avec la famille, la structure familiale, l’ancienneté résidentielle et l’âge ont été contrôlés. Toutes les personnes résident chez elles, à domicile, au sein de territoires peu denses répartis sur deux terrains d’études : les aires urbaines de Dijon et Limoges. L'étude de l'autonomie en vieillissant n’est pas un fait nouveau, mais son application à la mobilité et à l'approvisionnement offre de nouvelles perspectives de recherche. Cette approche permet de comprendre la dimension subjective de l’autonomie et de souligner la diversité des situations où l'autonomie est compromise ou renforcée pour s’approvisionner. Nous observons notamment que les difficultés pour se déplacer ne sont pas synonyme de perte d’autonomie. Les personnes rencontrées développent des stratégies pour maintenir leur autonomie. Les facteurs ayant une influence ne se limitent pas aux seules capacités physiques ou cognitives des personnes, mais englobent un ensemble d'éléments socio-spatiaux tels que la diversité de l’offre commerciale, la présence de l’entourage, familiale ou amical, ainsi que les services de mobilité proposés. Dans une perceptive de réflexions pour un aménagement favorisant le vieillissement à domicile, nous mettons en lumière les freins mais également les ressources et services favorisant un approvisionnement autonome. Enfin, nous souhaitons ouvrir une discussion autour de la place de l’autonomie dans les mesures d’accompagnement du vieillissement. Erigée comme valeur extrême de nos sociétés occidentales [Ehrenberg, 2014], favoriser l’autonomie pourrait se transformer en injonction à rester autonome malgré les difficultés. DETHOOR Anaïs, HAINSELIN Mathieu, DUCLOS Harmony, 2021, “Vers une approche multidimensionnelle de l’autonomie,” Revue de neuropsychologie, 13(1), pp. 29–33. EHRENBERG Alain, 2014, “Faire société à travers l’autonomie,” Recherche et formation, 76, pp. 107–118. ENNUYER Bernard, 2013, “Les malentendus de l’« autonomie » et de la « dépendance » dans le champ de la vieillesse,” Le Sociographe, Hors-série 6(5), pp. 139–157. GAGNON Éric, SÉGUIN Anne-Marie, DALLAIRE Bernadette, VAN PEVENAGE Isabelle, BILLETTE Véronique, 2020, “Vieillir seule chez soi : Dimensions de l’autonomie chez les personnes âgées,” Recherches sociographiques, 61(1), pp. 11–30. TRÉPIED Valentine, 2020, “Autonomie et vieillissement en institution : le regard d’une sociologue,” La Revue des droits de l’homme. Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, 17.