La présente contribution se propose de dresser un panorama historique inédit de l’exil tibétain depuis le Tibet vers l’Asie du Sud, à partir de 1959, puis vers la France, l’un des premiers pays d’accueil depuis 1960 et l’un des principaux en Occident depuis les années 2010. Cette étude va dans un premier temps rappeler les raisons de la fuite en exil en 1959 du dirigeant politique et religieux tibétain, le Dalaï-Lama (né en 1935), et d’une diaspora comptant aujourd’hui quelque 120 000 personnes, au regard d’une population totale au Tibet estimée à sept millions. On évoquera ensuite les circonstances et la chronologie de l’établissement en Inde de cette diaspora, gouvernée depuis 1960 par un gouvernement reconstitué en exil, toujours actif à ce jour et accepté par les autorités indiennes. Avec la poursuite de la crise au Tibet, ce premier exil va se prolonger et provoquer un deuxième exil, vers certains pays occidentaux, à partir des années 1990. On poursuivra donc en s’intéressant plus particulièrement au cas de la France et en plaçant les principaux repères de la présence tibétaine dans l’Hexagone. La venue d’exilés tibétains se fait d’abord au compte-goutte : en 1960, la France accueille en effet quelques Tibétains érudits triés sur le volet puis, en 1962, vingt enfants encadrés par un couple de tuteurs tibétains. Cette petite communauté s’étoffera également de quelques religieux affiliés à de nouveaux centres bouddhistes. Cette première communauté croît et fait souche en France. Des enfants naissent à partir des années 1970. Les sources divergent quant au nombre exact de Tibétains sur le sol français à l’époque – on parle d’un peu plus de cent individus vers la fin du XXe siècle. Cette présence discrète devient toutefois plus visible dans les années 1990, notamment grâce à l’internationalisation de la cause tibétaine suite à l’attribution du prix Nobel de la paix au Dalaï-Lama en 1989 — lequel avait effectué son premier voyage en France en 1982. Le bouddhisme tibétain se développe en parallèle avec l’ouverture de centres bouddhiques, contribuant à établir le Tibet dans le paysage culturel français. Le milieu des années 2000 et, plus encore, les années 2010, marquent une rupture : on passe à environ 10 000 individus en 2020. Cette croissance est le contrecoup des manifestations de masse qui ont agité le Tibet en 2008, en amont des Jeux olympiques de Pékin. Durement réprimées, elles ont occasionné un nouvel afflux d’exilés en Inde. Mais, contrairement aux générations précédentes, les Tibétains ne restent plus en Asie du Sud, et optent assez vite pour un deuxième exil, en Occident (Suisse, Belgique, France, États-Unis, Canada, principalement). La France devient une destination de prédilection. La massification de l’exil tibétain limite toutefois les interactions avec la société française. Le souhait de maintien de la langue et de la culture, auxquelles les Tibétains demeurent très attachés, reste vivace et de nombreuses activités (éducatives ou festives) en témoignent. Si la transmission de la langue est pour l’instant relativement bien assurée au sein des familles, le plus grand défi reste son maintien dans les générations à venir, alors que la perspective d’une résolution de la question tibétaine devient chaque jour plus improbable, que les communications avec le Tibet sont toujours plus surveillées et que l’éclatement diasporique croissant menace la transmission linguistique et culturelle.