La fonction d’accueil et d’accès aux droits et aux soins de tous ordres et en particulier psychiques par des personnes en situation de précarité constitue le thème central de ce projet d’Entretien. De nombreux indicateurs, psychosociologiques, économiques et autres, montrent que cette fonction d’accueil fait face à des difficultés grandissantes dans de nombreux pays. Un bref apport historique sur l’évolution de la prise en charge des seniors dessinera l’enjeu passé et actuel des précarités spécifiques lié à l’âge, notamment jeunes seniors, ce qui est le cœur de la recherche action Evolution après Covid de l’Invisibilité des Précarités (ECOVIP). Une approche de l’évolution de la prise en charge de la personne précaire âgée au Québec sera ensuite présentée sous l’angle de la maltraitance organisationnelle. Nous avons en effet deux angles d’approche : celui d’une part de la recherche d’une compréhension des causes, internes et institutionnelles ou externes et issues de divers phénomènes sociétaux, des difficultés rencontrées par les professionnels de première ligne chargé d’assurer cette fonction ; celui d’autre part de l’élaboration de voies de solution, d’invention de nouveaux angles d’approche. Le projet se veut en effet « force de proposition » en se faisant moteur d’un dépassement des simples constats. Le projet se propose de croiser les discours en interdisciplinarité et au sein de nos francophonies, pour comprendre la situation actuelle qui s’est récemment aggravée dans la prise en charge des personnes précaires. Comment les réponses apportées en particulier par la démultiplication des dispositifs aident ou entravent la prévention de la précarisation ? Comment des pratiques peuvent se renouveler, s’adapter, innover et se capitaliser ? A ce titre, les évolutions – différentes mais qui convergent néanmoins dans leurs effets – de l’organisation de l’accès aux soins, et singulièrement de l’évolution de la place de l’hôpital dans ces mutations, entraînent à la fois une hausse des besoins en prévention, ainsi qu’un passage d’un objectif théorique de prévention à une situation pratique de gestion de crise, qui semble s’être installée dans la durée. Ce phénomène se révèle particulièrement dans les demandes d’écoute croissantes, faites aux psychologues et psychanalystes, écoute que les personnes en situation de grande vulnérabilité ne peuvent plus trouver dans le reste du champ psychosocial. Le projet ECOVIP vise à repérer le plus précisément possible où se situent les blocages à cette écoute des personnes dans le réseau entre acteurs sociaux et de santé mentale. À cet effet, il associe dans sa démarche 3 catégories d’acteurs : les professionnels de terrain (éducatrices, éducateurs spécialisés, psychologues, psychanalystes…), l’institution (collectivité) et l’académie (chercheurs de divers horizons universitaires). Ces blocages sont particulièrement vérifiés pour les jeunes seniors (50-64 ans) à Lyon, avec une précarisation majeure de ceux qui, à partir d’une perte de travail, suivent un processus de désaffiliation social. Dans nos deux pays, l’approche par la gestion de crise et non la prévention génère la création de dispositifs à courts termes, tel à Lyon le déploiement d’une quinzaine d’équipes mobiles, intégrant ou non les aspects de santé psychique. La gestion de crise invente ainsi des dispositifs visant des situations d’urgence pour pallier des souffrances extrêmes, au sens des soins palliatifs. Chaque travailleur social est un maillon de cette organisation qui doit amortir la demande, obligeant les parcours qui existaient pour les professionnels de première ligne, dans le champ psychosocial, à se réinventer au quotidien. On constate ainsi un enjeu majeur en termes de santé psychique. Néanmoins, l’accès aux soins, au sens large, demeure un problème récurrent, y compris pour les travailleurs psychosociaux. Les évolutions d’organisations liées à cette gestion de crise, tel le management par objectif, induisent une souffrance chez les professionnels de première ligne, qui sont en quelque sorte empêchés dans leur cœur de métier. La réponse des politiques publiques est bien réelle et engagée. Pourtant les dispositifs sont souvent mal repérés par les usagers et les professionnels eux-mêmes ont du mal à se repérer dans ces nouveaux supports. Le non-recours est-il seulement dû à une méconnaissance des dispositifs ? La porte d’entrée dans le soin semble de plus en plus difficile d’accès. L’aller-vers qui a toujours été au cœur des pratiques avec les plus précaires semble devenir la modalité de tout dispositif ? L’approche clinique se fait par une offre simple « tu peux venir demander de l’aide » même si ce n’est pas le bon guichet, cet accueil inconditionnel qui a prévalu à des époques antérieures est-il révolu ? L’offre devrait consentir à un usage singulier et imprévisible par celui ou celle qui est accueilli, car c’est dans cet imprévisible que s’ouvre le champ des possibles. Pourquoi ces réorganisations supposément porteuses de solutions amènent-elles autant de souffrance au travail pour les professionnels psychosociaux ? Comment un accès aux soins pourrait-il être assuré avec une dégradation de l’accompagnement des personnes ? Nous conclurons avec les enjeux de transferts des constats et innovations de pratiques dans les politiques publiques en nous appuyant notamment sur le corpus des ateliers Ecovip (5 ateliers de 3h pluridisciplinaires, intégrant action psychosociale, emploi et travail). L’enjeu de la remontée démocratique est majeur et les modes de faire québécois particulièrement intéressants (process d’intelligence collective et de co-construction de la problématique et des solutions à y apporter). Dans le cadre d’ECOVIP, nous avons déjà beaucoup travaillé la défaillance de la remontée démocratique des problèmes. L’Entretien s'est conclu sur ces enjeux de diffusion du savoir, pour lequel nous assurerons une large diffusion des meilleurs textes qui sont produits à l’issue de la Rencontre du 11 octobre 2023 (ASPEPP) et de celle 17 octobre 2014 (SLAC) .