À la suite d’une fouille préventive menée par l’INRAP dans la ville d’Orthez (2017) sur l’ancien cimetière de l’hôpital (1792-1809), une fosse contenant 26 individus inhumés ensemble a été découverte. Le mobilier (boutons et munitions), les traumatismes visibles sur les squelettes et les dépôts « rapides » des cadavres ont permis d’identifier qu’il s’agissait d’une fosse d’inhumation contenant 26 soldats tués sur le champ de bataille à Orthez le 27 février 1814. Un programme de recherche (PCR « ORTHEZ – 1814 ») a permis d’engager au cours de ces trois dernières années des analyses pluridisciplinaires pour (1) comprendre l’origine de cette fosse et son fonctionnement, (2) caractériser l’identité biologique des individus, leur état sanitaire, leur mode de vie, (3) documenter leur origine géographique, leur origine génétique, leur historique au sein des armées. Les restes osseux et dentaires de tous les individus ont fait l’objet d’analyses biogéochimiques. Les compositions isotopiques du carbone (δ13C), azote (δ15N) et soufre (δ34S) sur le collagène des ossements (n = 26) fournissent des informations sur l’alimentation protéique au cours des dernières années de vie. Pour certains individus, ces données sont le témoin des années passées au sein des régiments. Pour d’autres (recrues plus récentes), le reflet du mode de vie quotidien à la fin du XVIIIe-début du XIXe siècle en Europe de l’ouest. Ces mêmes analyses isotopiques, effectuées de façon séquentielle sur le collagène dentinaire le long de la seconde molaire permanente (de la couronne à la racine de la M2, N = 6 dents en 2024) permettent de suivre l’évolution de l’alimentation et de l’exploitation de l’environnement entre ca. 3 et 14 ans. La confrontation des résultats isotopiques avec les registres militaires et les données génétiques fournit des premiers indices d’ordre socio-économique et géographique. Les résultats de certains sujets, peu documentés d’un point de vue matériel, ont particulièrement attiré notre attention. Il s’agit de trois individus dont l’alimentation est basée sur la consommation de ressources de type C4 (ici plus probablement des animaux nourris au maïs). Ces trois individus se distinguent de tous les autres inhumés dont l’alimentation est principalement basée sur des ressources de type C3 (blé, seigle par exemple, ou animaux nourris dans un environnement C3). Par ailleurs, l’étude de la dentine montre que l’un des combattants a changé son alimentation entre ca. 5 et 9 ans en consommant directement plus de maïs au détriment de la viande (volaille, porc notamment). L’hypothèse privilégiée à l’heure actuelle pour expliquer ces résultats est un repli vers des ressources alimentaires de « secours » en temps de disette (maïs dans la région du sud-ouest de la France). Les archives historiques font état d’une période météorologique hors norme en 1788 et 1789 (orages, gelées, sécheresses) dont les conséquences alimentaires et les tensions sociales qui en découlent en France dans les années qui suivent sont bien documentées. Ce recoupement entre les données biologiques (estimation de l’âge au décès entre 25 et 29 ans), génétiques (originaire du sud-ouest), isotopiques (alimentation basée sur l’exploitation du maïs depuis l’enfance) et les archives historiques (destruction des récoltes céréalières, hausse du prix du blé) est un « témoignage biologique » d’un des aléas météorologiques du petit âge glaciaire. Un des autres sujets identifiés comme un consommateur de ressources C4 ne montre pas de changement de mode de vie pendant l’enfance. Mais ce sujet est bien plus jeune (décès estimé entre 15 et 19 ans) et serait donc né après la période de disette. D’autres analyses sont en cours sur l’ensemble des combattants, parmi eux des soldats identifiés par les insignes, et apporteront des éléments complémentaires sur cette étude pluridisciplinaire.