Le 17 décembre [1999], Bruno Latour prononçait une conférence à la Cité des Sciences à l’occasion de l’exposition de Gilles Clément intitulée « Jardin Planétaire » (Latour, 2001), qui fut présentée à la Grande Halle de la Villette de septembre 1999 à janvier 2000. Cette exposition était avant tout axée sur la réflexion philosophique, sur une prise de conscience d'un tout dont l'homme fait partie, tout en divulguant un certain nombre de connaissances, principalement dans les domaines de la biologie végétale et animale et de l'ethnographie. Elle restituait donc l'être humain en tant qu'élément autant perturbateur que constructeur de la planète. Cette exposition donnait lieu à un nouveau « “Topos”(forme symbolique) de la nature, propre à un moment particulier de prise de conscience environnementale dans les sociétés occidentales » (Crenn, 2010). A l’époque déjà, l’objectif de l’allocution de Latour était de proposer une alternative à la notion occidentale de « Nature » (Descola 2005, Latour 1991). A la suite de l’anthropologie et de la pensée décoloniale latino-américaines - les plurivers d’Arturo Escobar (2018), le multinaturalisme d’Eduardo Viveiros de Castro (2014) -, il analysait alors le naturalisme (et les notions attenantes d’universalisme et de multiculturalisme) comme une façon pour les Modernes d’imposer une écologie dominante et, contre toute attente, de nier la pluralité des rapports au monde : le multiculturalisme sur fond de Nature universelle est selon lui « une tolérance qui est fort intolérante » (Latour 2001, p. 159). Nous souhaiterions reprendre à notre tour cette critique pour questionner cette fois le rôle des tiers lieux et living labs, voire Labs sociaux, dans cette question philosophique et sociale cruciale aujourd’hui : les tiers-lieux, en tant qu’espaces en marge des institutions culturelles dominantes (telles que la Villette ou les musées), favoriseraient-ils davantage cette transformation vers des écologies non hégémoniques, ou des écologies plurielles ? Notre postulat est que les tiers-lieux, au moins dans les débuts de leur existence, seraient en effet habilités à exposer les nouvelles problématiques environnementales et les nouvelles façons d’habiter la terre. Par définition, les tiers-lieux sont ouverts au multiculturalisme : ils proposent normalement une gouvernance démocratique avec des méthodes agiles, favorisant l’ouverture à tous les vivants (humains comme non-humains) dans la perspective d’une mise en dialogue. Nous avons observé que dans de nombreuses friches, voire tiers-lieux, des jardins sont développés avec diverses populations. Ce choix n’est guère anodin. « Jardiner une terre ensemble » favorise le lien social, la prise en compte des diverses cultures et manières de concevoir le monde. Les tiers-lieux (Oldenburg, 1989) sont de dignes héritiers de la pensée des squats, des hackers spaces (Nedjar-Guerre, Gagnebien, 2015). Ils ont ainsi permis de renouveler des espaces d’intermédiation, impliquant des usagers multiples pour la co-création d’alternatives à la vie en collectif . Notre méthodologie, transdisciplinaire, en anthropologie et sciences de l’information et de la communication, vise à développer à la fois une analyse d’entretiens de divers acteurs de Tiers lieux et living Labs (Jeanne Barret à Marseille , Le Hublot à Nice , Les Lentillères à Dijon ) mais également d’observations des pratiques de jardinage proposées associant les habitants mais également les personnes en marge, ou migrantes, déclassées etc. Par les concepts d’« écologies plurielles », « multinaturalisme », ou encore « épistémologies du Sud » (Boaventura de Sousa Santos, 2011), nous entendons réinterroger la notion de multiculturalité invoquée par ces tiers-lieux dans leur manière de penser l’écologie, tout en développant un état de l’art sur les manifestes des tiers-lieux et living labs qui se veulent encore « alternatifs ». Notre autre objectif est d'alimenter notre ANR PAUZAFRUITS pour le modéle d'agro living lab futur pour le verger de la Bastide à Fruits de l'association VVOUM à Marseille (13012). Cette proposition s'inscrit dans le cadre d'un atelier présentée au 19eme colloque du RIODD, intitulé Tiers-lieux pour expérimenter la soutenabilité forte , le 27 septembre 2024 à l'IHEC de Bruxelles. Bibliographie Crenn, G., 2010, « Paysager la nature planétaire ? L’expérience des jardins planétaires et la définition d’une commune nature », In: Analyse culturelle du paysage : penser le paysage. Actes du 135e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Paysages », Neuchâtel. Paris : Editions du CTHS, 2013. pp. 101-114. (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 135-13). Descola, P., 2015, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 800 p. Dumoulin Kervran, D., 2020, « Arturo Escobar. Sentir penser avec la Terre. L’écologie au-delà de l’Occident ». Paris, Le Seuil, 2018, 225 pages. Critique internationale, 89, 207-212. Latour, B. 1991, Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, « Poche / Sciences humaines et sociales », 2006 (éd. originale, 1991). Latour, B., 2001, « L’écologie politique sans la nature ? ». In: Chimères. Revue des schizoanalyses, N°41, hiver 2001. L'intime étranger. pp. 147-161. DOI : https://doi.org/10.3406/chime.2001.2335 Nedjar-Guerre, A; Gagnebien, A., 2015, « Les fablabs, étude de cas : le faclab de Cergy-Pontoise à Gennevilliers, lieu d’expérimentation sociale en faveurs de jeunes ? », Agora débats/jeunesse, 69. Santos, B.-de S., 2011, « Épistémologies du Sud », Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le 12 septembre 2018, consulté le 05 juin 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/9351 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9351. Oldenburg R., 1989, The Great Good Place. Cafés, Coffee Shops, Community Centers, Beauty Parlors, General Stores, Bars, Hangouts and How They Get You Throught the Day, Paragon House, Saint Paul (États-Unis). Viveiros De Castro, E. « Perspectivisme et multinaturalisme en Amérique indigène », Journal des anthropologues [En ligne], 138-139 | 2014, mis en ligne le 15 octobre 2016, consulté le 05 juin 2024. URL : http://journals.openedition.org/jda/4512 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jda.4512