Au début des années 2010, le projet de construction d’une nouvelle caserne de pompiers rue de l’Escaut à Cambrai a entraîné la redécouverte d’un long tronçon de l’enceinte médiévale, 120 ans après son démantèlement. Trois tours d’artillerie, plus de 200 m linéaires de courtine, la levée de terre attenante ainsi que le fossé ont pu être dégagés et étudiés, avec l’opportunité d’observer les évolutions structurelles et techniques du rempart de cette partie de Cambrai entre les XIVe/XVe siècles et la fin du XIXe siècle. Pour des raisons techniques, l’opération de diagnostic s’est déroulée en deux temps, une première intervention en 2010, puis une seconde pendant près de 2 mois à l’hiver 2013. L’aménagement prévu sur cet ensemble de parcelles de près de 20000 m² ayant été déplacé, l’opération archéologique n’a pas connu de suite. Le diagnostic a bénéficié du concours d’une archéologue du bâti (E. Delmont) et d’un géomorphologue (L. Deschodt). Situé dans une zone basse de la ville de Cambrai (entre 45 et 46 m d’altitude), en rive droite de l’Escaut et dans le lit majeur du fleuve, le terrain n’appartient vraisemblablement pas à la ville romaine du Bas-Empire. Même en position résiduelle, le mobilier d’époque antique est absent de tous les contextes observés en sondages profonds, à l’exception d’un tesson anecdotique. Ce secteur de Cambrai est parfois désigné au Moyen Âge par les toponymes de Vallée ou de Bèvres. Les données géomorphologiques récoltées lors de l’intervention montrent la présence de la nappe graveleuse de l’Escaut autour de 39 m IGN69, soit 7 m sous l’existant. La zone, au XIVe siècle, est recouverte par une formation alluviale limono-organique puis d’un limon gris sombre, témoignage d’un alluvionnement rapide du secteur. Observé au mieux sur trois mètres d’épaisseur, mais uniquement en sondage profond, ce dépôt de limon gris contient quelques pieux distribués à la verticale dans la couche et qui, pour autant que l’on sache, ne semblent pas organisés. Compris comme une conséquence de l’urbanisation de la ville ou de modifications hydrographiques, il culmine à 43,5 m d’altitude en moyenne. Le terrain diagnostiqué est situé dans le lit majeur du fleuve ; au XIVe siècle, il s’insère dans une zone humide ou franchement marécageuse. C’est à partir de ce niveau d’alluvions que sont implantés le rempart et les tours d’artillerie (phase 2). Le diagnostic permet d’en dégager deux ensembles : un front homogène, situé entre la tour la plus septentrionale (dite tour du Redan) et la tour dite Amoureuse au sud, vraisemblablement construit au cours d’une même campagne, et une fortification d’aspect (et de conception ?) différente, à l’extrémité sud du terrain. Le front de Bèvres est attesté par les sources vers 1400. Organisé, sur la partie sud de son tracé, en angles saillants et rentrants, il comporte, selon le plan de Jacques de Deventer, peu de tours d’artillerie, la plupart dans sa partie méridionale. Trois de ces tours ont été dégagées au cours de l’intervention ; une quatrième, dont on ignore le plan exact, est détruite entre 1865 et 1867 et ses substructions n’ont pu être atteintes. En moyenne, les flanquements, tous saillants sur le fossé, sont espacés de 53,5 m. Aux Temps modernes, les portes de Cantimpré et de Selles sont protégées par les couronnes éponymes, le front de Bèvres par la seule demi-lune 22, localisée outre Escaut, en regard des tours mise au jour sur le site. Une inondation défensive complète le dispositif. La salle basse des tours, seule subsistante après le démantèlement, est dotée d’entre 3 et 5 ouvertures de tir. Certaines comportent des fentes de visées cruciformes ; par comparaison avec la tour voisine des Arquets, on suppose qu’elles se terminent en bêche. Les ouvertures de tir de la tour du Redan, remaniées à une période indéterminée, auraient été conçues dès l’origine pour être polyvalentes : la plongée marquée et la bêche permettent le tir à l’arme de trait ; les encastrements ménagés dans les joues des embrasures et la petite bouche à feu circulaire au centre de la croix de visée l’usage d’armes à feu de petit calibre. La courtine est peu épaisse, d’une construction très soignée. La partie inférieure des fondations n’a été vue qu’en sondage profond, sans que la base puisse être atteinte. À l’origine, le mur d’enceinte aurait été laissé nu immédiatement au-dessus des fondations. Il se serait accompagné d’une levée de terre peu épaisse (autour de 1,7 m), mais se développant en profondeur (au moins 15,4 m). Au XVIe siècle, la courtine est remparée. Cette nouvelle levée de terre, arasée lors du démantèlement, a une puissance minimale de 1,4 m. La levée de terre moderne est également maintenue par des murs de terrasse soutenant la rampe d’accès aux plates-formes de tir. Peu d’éléments appartiennent au fossé de cette période : par la documentation, on sait qu’il est alimenté en eau par l’Escaut tout proche, dont il est séparé par une digue ou dos d’âne. En deçà de 44 m en moyenne, le parement externe des courtines est en grès pour protéger le pied du mur des remontées d’humidité. La craie du reste du parement du rempart, gélive et tendre, est sujette à l’effritement : quelques réparations en briques, non datées, ont été observées. À partir de la période française (1677) ou peu avant (phase 3), des pans entiers du rempart sont reconstruits, se substituant aux murailles médiévales. Ces nouvelles constructions ont pour caractéristiques d’associer un parement externe en briques, doté d’un fruit et probablement d’un soubassement en grès à un blocage en craie, dans lequel les matériaux de remploi pourraient tenir une part non négligeable. La partie arrière de ces remparts conçus pour résister à une canonnade est rythmée par des contreforts rectangulaires ou trapézoïdaux. Toutes ces constructions prennent appui sur les tours originelles, qui conservent tout ou partie de leur fonction de flanquement. Entre la fin du XVIIIe siècle et 1833, enfin, l’espace compris entre les tours méridionales est remanié : on remplace la muraille effondrée par un nouveau rempart, large de 2,7 m, implanté sur le fossé. Cette réfection intègre les tours dans le nouveau dispositif ; mais, si sa mise en œuvre (parement de briques, blocage de craie, contreforts rectangulaires) ne diffère pas des exemples précédents, le rôle attribué à ce nouveau segment est plus clairement défensif. La salle basse de la vieille tour du Redan est transformée en casemate et en poterne, permettant des tirs au ras du fossé qui est, à la fin de la période, assez mal entretenu : les niveaux du XIXe siècle atteignent les assises de grès du rempart 1025/1027, jusqu’à les masquer. À l’est, les premiers casernements voient le jour, qui succèdent aux terrains d’entraînement des compagnies urbaines. Traditionnellement, le quartier de cavalerie Saint-Pierre est daté de la « période espagnole » ; il est en tout cas antérieur à 1710, date de réalisation du carton de sol du plan relief. Aucune observation d’archéologie du bâti n’a pu être menée sur cette construction, rasée peu de temps avant l’intervention (2008). Les casernes voisines, le quartier dit de l’Arbalète, sont complètement transformées en 1786, pour prendre la forme qu’on leur connaît aujourd’hui (quartier Mortier, actuel EPIDe). Pour compenser la dénivelée du terrain, les matériaux provenant du quartier de l’Arbalète sont soigneusement épandus dans la partie est du chantier, plus déprimée que le reste du site, par lits successifs de gravats. Un nouvel espace est donc créé, formant une cour plane qui culmine à 46/46,1 m d’altitude. Des reliquats de son pavage ont été dégagés. Conscrits et engagés des régiments de dragons ou de cuirassiers sont hébergés dans les casernes ; ils ont laissé de nombreux graffitis dans les tours, les plus nombreux semblant dater des décennies 1870-1890. Le démantèlement des fortifications cambrésiennes est décidé en 1893 (phase 4). Le secteur demeure une réserve militaire. L’arasement atteint la cote moyenne de 45,2 m ; une marque de peinture rouge, sur la tour du Redan (cote 45 m) signale d’ailleurs la limite à ne pas dépasser. Il ne semble pas que les matériaux de construction aient été amplement récupérés. On les retrouve, au contraire, répandus au pied des tours et des remparts mais sans systématisme toutefois. Le reste des matériaux comblant les fossés provient du déversement des remblais de la levée de terre.