Difficile, dans les neuf romans de Victor Hugo, de trouver une famille qui corresponde aux schémas attendus par le XIX ème siècle français : adoptions, filiations escamotées, guerres fratricides et familles monoparentales semblent la norme. Pourtant, toutes ces familles nouvelles, ces familles atypiques, se mettent en scène et donnent parfois à lire une face édulcorée, face idéale, en tout cas face retravaillée de leur foyer. Quand Marius, dans Les Misérables, glisse un oeil indiscret sur la famille Thénardier qui loge de l'autre côté du mur, il n'assiste pas à la même scène que celle que la famille joue, sous la baguette manipulatrice du père, face au potentiel payeur Jean Valjean. D'un côté, famille désunie, et de l'autre famille miséreuse. La mise en scène ne crée ici pas l'idéal : elle place simplement l'origine de la dislocation dans la misère, et non dans la filousophie 1 du père. Dans Han d'Islande, une scène attire le regard : chez les Orugix, famille sous l'égide d'un pater familias bourreau, quatre inconnus se réfugient pour échapper à la tempête. Tout a un air de repas de famille, mais un repas qui ressemble étrangement à une comédie teintée de gothique : quiproquos et costumes constituent l'essentiel de la composition de l'intrigue. Dans L'Homme qui rit, la mise en scène est évidente : la Green-Box d'Ursus est à la fois foyer et théâtre, à la fois lieu de vie familiale et scène où l'on se représente. Sur le modèle inquiétant, enfin, du mariage de Marius et Cosette, celui de Gringoire et d'Esmeralda n'est qu'un artifice, qu'une manière in extremis d'échapper à la mort. La Cour des Miracles devient une nouvelle scène sur laquelle se dessinent les contours d'une famille faussement conventionnelle. La nuit de noces fait vite déchanter le lecteur.