S’il est admis que le télétravail remet en question les fondamentaux traditionnels du management, tels que la visibilité et la présence, l’impact de ces changements sur les pratiques managériales restent encore incertain. Ainsi, si certains observateurs craignent un renforcement des contrôles, d’autres appellent au développement d’une culture de la confiance. Cette façon de questionner l’impact du télétravail dénote toutefois une approche dite substitutive où contrôle et confiance s’excluent mutuellement. Or, une approche complémentaire est aussi envisageable, considérant que le contrôle et la confiance co-existent et même, sous certaines conditions, se renforcent. Suivant cette approche, le télétravail ne devrait pas faire disparaitre l’un pour favoriser l’autre, mais impacter la façon dont le contrôle et la confiance s’articulent. L’étude de l’impact du télétravail sur les pratiques managériales donne l’occasion de faire avancer le débat entre les approches substitutive et complémentaire du rapport contrôle-confiance. Plus concrètement, elle doit permettre de déterminer si les managers ont fait évoluer ou non leurs pratiques existantes pour gérer des télétravailleurs et quels effets ont eu ces évolutions – ou cette absence d’évolution - sur les performances et la santé des salariés. Pour explorer ces sujets, une étude a été conduite au sein d’un organisme de protection sociale de taille intermédiaire (400 salariés) situé en région parisienne. Cet organisme a la particularité d’avoir déployé le télétravail de façon expérimentale dès 2017, de l’avoir généralisé dès 2020 et d’avoir accordé, à partir de 2022, la possibilité de 3 jours de télétravail par semaine à la quasi-totalité de ses salariés. Cette étude s’appuie sur une analyse des différentes versions de l’accord télétravail entre 2017 et 2022 ainsi que 50 entretiens individuels semi-directifs croisant des managers et leurs collaborateurs. Les résultats montrent, en premier lieu, que les évolutions de l’accord télétravail au fil des ans traduisent une confiance accordée aux télétravailleurs qui a été grandissante tout en étant contrebalancée par une addition de règles limitant leur liberté et servant de garde-fous. L’analyse des données recueillies par entretien permet, en complément, d’établir un inventaire des pratiques de contrôle et de confiance appliquées par les managers pour gérer le télétravail. Cet inventaire distingue les pratiques propres aux cadres et celles qui concernent plus spécifiquement les non-cadres. Globalement, il apparait que ces pratiques, si elles ont connu de fortes adaptations pour gérer le télétravail forcé et généralisé pendant les périodes de confinement de 2020, sont depuis revenues dans un état quasi similaire à ce qui existait lorsque le travail n’était que sur site et, ce, malgré l’introduction de nouveaux moyens informatiques offrant de nouvelles possibilités de contrôle. L’étude permet en outre d’identifier plusieurs configurations de pratiques de contrôle et de pratiques de contrôle. Ces configurations semblent liées à la nature des activités et au statut des salariés qui constituent les équipes. Au final, alors que les règles limitantes et les contrôles appliqués restent relativement nombreux depuis l’entrée en vigueur du télétravail, surtout avec les non-cadres, un certain équilibre entre contrôle et confiance est reconnu et apprécié par les managers ainsi que la très grande majorité de leurs collaborateurs. Les résultats montrent en outre que la gestion du télétravail adoptée par l’organisme et ses managers a eu des effets généralement positifs sur les performances et la santé des salariés et a contribué à créer un environnement capacitant. Ces résultats sont mis en discussion pour comprendre comment la présence des contrôles peut être jugée cohérente avec les pratiques de confiance des managers et, ainsi, ne pas dégrader ni l’engagement des salariés ni la qualité de leur relation avec leurs managers. Si la notion de configuration associant certains contrôles à certaines pratiques de confiance est avancée comme une explication, nos données conduisent surtout à souligner l’existence d’un rapport de complémentarité entre contrôle et confiance. Nous montrons que ce rapport de complémentarité dépend fortement de la perception des contrôles par ceux qui les appliquent et par ceux sur qui ils sont appliqués. Ces considérations conduisent à tirer plusieurs implications pratiques de l’étude qui invitent les entreprises à privilégier une approche flexible de la gestion du télétravail, faisant la promotion d’une confiance « encadrée », basée sur une équité de traitement et sachant allier des enjeux de performances, de bien-être et de santé au travail.